La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu’il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n’aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l’avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d’ennui et d’irritation. Il se demanda même pourquoi. C’était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois… Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l’irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore :
Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? c’est ce qu’il ne s’expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l’histoire de Bérénice…l’autre, la vraie… D’ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie. Brune alors, la Bérénice de la tragédie. Césarée, c’est du côté d’Antioche, de Beyrouth. Territoire sous mandat. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà, et des tas de chichis, de voiles. Césarée… un beau nom pour une ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée… Je demeurai longtemps … je deviens gâteux. Impossible de se souvenir : comment s’appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria… qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre potelé, ayant l’air d’un marchand de tissus qui fait l’article, à la manière dont il portait la toge. Tite. Sans rire. Tite.

Ce blog s’est un peu endormi. Les mois de mai et juin sont généralement une course folle pour moi et je retrouve enfin le temps de souffler quelques mots par ici. Pour ces premières lignes dominicales, rendez-vous initié par Ma Lecturothèque, j’ai choisi l’incipit d’Aurélien de Louis Aragon qui fera peut-être partie de mes « pavés estivaux ».
Bonne lecture les Kids !
Mes autres premières lignes #1 #2 #3 #4 #5
Les autres premières lignes : George, Ma Lecturothèque, Nadège, Moglug.
J’ai beaucoup aimé ce livre, je pense que tu ne seras pas déçu…
J’aimeJ’aime
Si tu le dis, je te crois… ^^
J’aimeAimé par 1 personne
Ah! ces fins d’années scolaires ! Bon courage 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Je sais que tu sais… Merci Sandrine. 😉
J’aimeJ’aime
J’aime beaucoup cet incipit… Il faut que je lise le livre aussi!
J’aimeAimé par 1 personne
Aragon… Aurélien… Et oui… Bon courage Mokaaaa
J’aimeAimé par 1 personne
Pour moi aussi , un livre marquant .
J’aimeAimé par 1 personne
il est vrai !
J’aimeAimé par 1 personne
C’est une belle idée de nous délivrer quelques lignes ainsi! Et ça donne plutôt envie…(surtout que la couverture du roman est sublime). Merci ! Bon courage pour ton rythme effréné du mois de juin…
J’aimeJ’aime
Je veux le lire depuis longtemps …
J’aimeAimé par 1 personne
Quel fabuleux incipit ! et quel magnifique roman !
J’aimeAimé par 1 personne
Il faut que je le lise… Pourquoi pas cet été ?
J’aimeJ’aime
J’ai adoré ce roman lu peu de temps avant la naissance de mon plus jeune fils. Devine son prénom.
J’aimeAimé par 1 personne
Oh… C’est beau cette histoire Denis.
J’aimeJ’aime
Ravie de te relire, qui plus est avec ce bel incipit. Bonne chance pour ce mois de juin, et à cet été alors pour tes prochaines chroniques !
J’aimeAimé par 1 personne
Je vais essayer de retrouver un rythme raisonnable…
J’aimeAimé par 1 personne
Je ne me souvenais pas de cette première phrase, si terrible tout de même…
J’aimeAimé par 1 personne
Je n’avais qu’elle en tête n’ayant pas encore lu le roman. 😉
J’aimeJ’aime
Je cours, tu cours, il ou elle court… Comme je te comprends….!
Très beau ces premiers mots, jamais lus non plus d’ailleurs…!
J’aimeAimé par 1 personne
Je suis à bout de souffle !
J’aimeJ’aime
Splendides premières lignes. Qui donnent envie!
J’aimeAimé par 1 personne
A moi aussi. Je compte bien me plonger dans ces lignes…
J’aimeJ’aime
Un classique jamais lu ! Ce début donne bien envie !
J’aimeAimé par 1 personne
Et pourquoi pas pour cet été ?
J’aimeJ’aime
Cet incipit ayant été inclus dans le générique d’une émission de France Culture (Les bonnes feuilles, il me semble), j’ai l’impression de l’entendre quand je le lis mais je ne savais pas de quel roman il était tiré.
J’aimeAimé par 1 personne