Pêcheur d’Islande – Pierre Loti

Les lames, frisées en volutes, continuaient de se courir après, de se réunir, de s’agripper les unes les autres pour devenir toujours plus hautes, et, entre elles, les vides se creusaient.

À Paimpol, la vie des hommes est rythmée par les grandes campagnes de pêche. Inéluctablement, celle des femmes goûte aux tristesses des départs, sommeille durant les mois d’absence, palpite face aux joies des retrouvailles, se fige quand elles comprennent qu’il n’y aura jamais de retour. Gaud quant à elle ne trouve pas sa place parmi celles qui ne sont qu’attente. Elle n’a pas de mari et vit chichement dans sa petite maison de bord de mer. Dévouée, généreuse, elle est une demoiselle qui observe avec une curiosité certaine toute l’agitation qui met en effervescence la vie du village de pêcheurs.

Face à Yann, marin loup de mer réputé pour ses silences et son amour de la solitude, elle n’est qu’admiration et fascination. Elle l’a choisi lui qui ne se doute de rien et elle met tout en œuvre pour exister à ses yeux quand le jeune homme revient à Paimpol. Femme de marin avant l’heure, elle semble totalement grisée à la simple évocation de son nom.

Moi !… Un de ces jours, oui, je ferai mes noces – et il souriait, ce Yann, toujours dédaigneux, roulant ses yeux vifs – mais avec aucune des filles du pays ; non, moi, ce sera avec la mer, et je vous invite tous, ici tant que vous êtes, au bal que je donnerai…

Pêcheur d’Islande a la couleur et le ton des récits du XIXe. On s’y laisse embarquer dans un style dentelle empreint d’une force narrative puissante. La grandeur de la plume de Loti est aussi inattendue et frappante que cet auteur s’est fait discret dans le paysage littéraire. (Merci au podcast de Lucie Azema pour l’avoir rappelé à moi.)

Ce classique aux multiples facettes est un roman des bords de mer et des grands chemins maritimes qui conduisent aux zones de pêche islandaises que l’auteur raconte finalement peu, un roman d’amour et d’amitié, un roman des ailleurs que la mer relie comme autant de routes qui savent être fatales, un roman populaire, des bars et des zincs, des cabarets grivois, des ivresses qui assomment, un roman-poésie, parce qu’il en est ainsi de la plume de Loti et un roman-théâtre dont la scène flotte sur les eaux agitées. Enfin, il est aussi un merveilleux roman-chant d’amour, d’hommage, d’honneur, d’adieu aux hommes que la mer appelle un peu trop fort. Sublime.

Et ce banc, qui avait plus d’un siècle, ne s’étonnait pas de leur amour, en ayant déjà vu bien d’autres ; il en avait bien entendu, des douces paroles, sortir, toujours les mêmes, de génération en génération, de la bouche des jeunes, et il était habitué à voir les amoureux revenir plus tard, changés en vieux branlants et en vieilles tremblotantes, s’asseoir à la même place, — mais dans le jour alors, pour respirer encore un peu d’air et se chauffer à leur dernier soleil… 

BO des pages tournées : Le Marin – Alain & Pierre Souchon, Ours

Un titre très apprécié au regard des chroniques de lundi: Fanny / Natiora / Un livre un thé 

Prolongements et échos : (Comment ça c’est un thème qui me parle?)

• • Côté classiques
    
• Le Vieil homme et la mer – Ernest Hemingway
• Le Marin rejeté par la mer – Mishima
• Le Blé en herbe – Colette
• La Joie de vivre – Zola

• • Côté albums
• Cassandre – Rascal
• Esther Andersen – Timothée de Fombelle
• M comme mer – Joanna Concejo

• • Côté bulles
• Un Océan d’amour – Lupano & Panaccione
• Le Vieil homme et la mer – Murat
• La Louve Boréale – Nuria Tamarit
• La Jeune femme et la mer – Catherine Meurisse
• • Côté contemporains
• Ultramarins – Mariette Navarro
• Océan mer – Alessandro Baricco
• Les Falaises – Virginie DeChamplain
• Le Grand marin – Catherine Poulain
• Ressac – Diglee ♥
  

• • Côté essais
• Le Bordel des mers – Le singulier destin des exilées du Lady Julian – Siân Rees

Les classiques c’est fantastique ! [Saison 3]

Pêcheur d’Islande – Pierre Loti Éditions Le Livre de poche 5,20 € /  224 pages / 1886 Les Classiques c’est fantastique ! / Récits maritimes