Ses seuls souvenirs de la vie à terre étaient ceux de la pauvreté, de la maladie et de la mort ainsi que d’une dévastation infinie. En se faisant marin, il se détachait de la terre à jamais.
Ryüji est un homme qui a fait de la mer sa plus fidèle compagne. La terre, très peu pour lui. Ce qui le fait vivre lui, c’est l’océan à perte de vue, le bateau qui tangue et la solitude du marin. Rien n’a jamais égalé son plaisir des infinies étendues maritimes et il se contente aisément d’escales de quelques jours quand il s’agit de regagner la terre ferme. Lors d’un arrêt à Yokohama, il rencontre Fusako, jeune veuve qui s’éprend de lui et cette déferlante amoureuse viendra questionner ses certitudes. La fulgurance de leur rencontre n’échappe pas à Noboru, le fils de cette dernière qui observe méticuleusement cet homme surgissant dans sa vie.
Il détestait les bavardages vulgaires destinés à tromper la solitude.
Tantôt admiratif, tantôt sceptique face à l’aura de ce marin venu d’ailleurs, il peine à trouver sa place et à lui accorder celle qu’il mérite. Ses fréquentations douteuses rendent la situation d’autant plus complexe. Influencé par la bande d’adolescents peu scrupuleux qu’il côtoie, il voit en l’arrivée de Ryüji l’occasion providentielle de faire ses preuves et de gagner leur reconnaissance. Et si se jouer du marin pouvait lui accorder une place de choix parmi eux? Un pari insensé qui a tout d’un piège cruel.
Ils ne savent pas ce qu’est le danger. Ils pensent que le danger est quelque chose qui blesse physiquement, qui fait couler un peu de sang et fait écrire dans la presse de longs articles sensationnels. Qu’est-ce que cela? Le danger, c’est la vie, pas autre chose.
Voilà un roman japonais à l’atmosphère saisissante. La plume de Mishima est d’une délicatesse absolue même lorsqu’elle se saisit de dire la jalousie latente, l’érotisme contenu, l’amertume obsédante et la cruauté abjecte. Les passages descriptifs sont à chaque ligne un concentré de poésie et de douceur palpable et donnent aux paysages maritimes une singularité étonnante.
Au fil des pages, Mishima dépeint aussi bien les relations familiales dans leur complexité que les amours bancales et maladroites. Il n’hésite pas aussi à mettre en regard les tensions et enjeux de pouvoir qui n’ont de cesse de mettre en exergue les ravages insidieux des luttes d’influence. Certes, rien de bien optimiste dans ces pages, mais force est de constater que l’auteur fait sensation en donnant deux visages à sa plume : le doux et le beau se mêlent ainsi à la violence et à la manipulation avec un talent incontestable. Une belle entrée en matière dans l’œuvre de cet auteur au destin tragique que je relirai sans le moindre doute.
Les pères !… Parlons-en. Des êtres à vomir ! Ils sont le mal en personne. Ils sont chargés de tout ce qu’il y a de laid dans l’humanité. Il n’existe pas de père correct. C’est parce que le rôle des pères est mauvais. Les pères stricts, les pères doux, les pères modérés, sont tout aussi mauvais les uns que les autres. Ils nous barrent la route dans l’existence en se déchargeant sur nous de leurs complexes d’infériorité, de leurs aspirations non réalisées, de leurs ressentiments, de leurs idéaux, de leurs faiblesses qu’ils n’ont jamais avouées à personne, de leurs fautes, de leurs rêves suaves et des maximes auxquelles ils n’ont jamais eu le courage de se conformer ; ceux qui sont les plus indifférents, comme mon père, ne font pas exception à la règle. Leur conscience les blesse parce qu’ils ne font jamais attention à leurs enfants et finalement ils voudraient que les enfants les comprennent.
Ce roman japonais (cela change n’est-ce pas?) au goût d’ailleurs fut mon premier choix pour notre rendez-vous Les Classiques c’est fantastique et notre thématique « Bord de mer ou grand large« .
La sélection de la fantastique Team des classiques : Fanny / Lolo / Natiora / Pati / Lily / Lili / L’Ourse bibliophile / Mumu / Katell / Un livre un thé / Madame Lit / Marilyne / Une Comète
BO des pages tournées : Boat Turns Toward The Port Soap & Skin
Prolongements et échos :
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- Côté mer
- Le Vieil homme et la mer – Ernest Hemingway
- Ultramarins – Mariette Navarro
- Océan mer – Alessandro Baricco
- Un Océan d’amour – Lupano & Panaccione
- Côté Japon
- Un thé pour Yumiko – Fumio Obata
- La Jeune femme et la mer – Catherine Meurisse

Le Marin rejeté par la mer – Yukio Mishima Traduit par G.Renondeau Éditions Gallimard – Collection Folio 7,20€ / 192 pages / 1979 Les Classiques c’est fantastique ! / Récits maritimes / Lire l’ailleurs |
Je ne connaissais pas ce titre de l’auteur.
Tu donnes envie de le découvrir (plus c’est sombre, plus on aime !) 🙂
C’est original comme choix pour ce thème.
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Moi non plus. Il était là au bon moment sans que je ne sache vraiment comment il est arrivé dans ma bibliothèque. Le côté sombre est diffus mais bien là. C’est un texte qui repose aussi beaucoup sur les non-dits. (Un passage est vraiment dégueulasse en revanche.)
Bref, à tenter à l’occasion.
Teasing : je vais être nettement moins originale pour mon post de demain… ^^
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Ah, quel plaisir de lire ton billet, je suis une grande fan de Mishima ( je crois que tu n’es pas spécialement attirée par les nouvelles mais son je te conseille quand même son recueil La mort en été – La première nouvelle se déroule au bord de la mer ^^ ). J’ai toujours le projet de lire La mer de la fertilité, encore une lecture au long cours.
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Et quel plaisir de lire ton commentaire! Je le découvrais en ce qui me concerne avec toujours à l’esprit la petite rengaine qui me disait de lire enfin « Confession d’un masque ». J’ai commencé avec celui-ci qui était dans ma bibliothèque sans que je soupçonne son existence et autant dire que je suis ravie de cette bonne pioche. Je note tout de même la référence pour le recueil de nouvelles.
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Ah, cette thématique du jour des « Classiques c’est fantastique » a donné lieu à de belles propositions ! Et tu me donnes envie de relire Mishima, tiens..
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Et quelque chose me dit que cette semaine sera encore riche de suggestions. Ravie que ma chronique t’invite à te replonger du côté de Mishima… Mon prochain sera Confession d’un masque.
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Ta critique tombe à pic pour me remotiver vis-à-vis de Mishima ! J’avais beaucoup aimé Confession d’un masque, mais je suis présentement en train de lire Le Pavillon d’Or et le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas un franc succès. Moi qui ai sa tétralogie La mer de la fertilité dans ma PAL, j’avais besoin d’un regain d’enthousiasme et ta critique me le fournit pleinement. Autant dire que je lirai Le marin rejeté par la mer avant de me lancer dans cette énorme brique qu’est l’intégrale de La mer de la fertilité !
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Je ne le connaissais que pour Confession d’un masque sans avoir jamais sauté le pas. Et puis il y a eu ce titre que je trouve d’une beauté folle. Je note La mer de la fertilité (même si ce ne sera pas pour tout de suite !)
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Clairement, tu m’as convaincue de ne pas me laisser abattre ! (Mais je ne te recommande pas Le pavillon d’or pour autant, tu l’auras compris…)
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Tu me donnes envie de découvrir Mishima, et notamment ce roman dont l’atmosphère concentre tout ce que j’apprécie dans mes lectures.
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Je n’attendais rien de ce texte et ce fut une sacrée surprise pour moi qui ne lis pas de littérature japonaise.
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Jamais lu de roman de Mishima… Très bon choix car grâce à ta chronique, je découvre un nouvel écrivain… Merci!
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C’était aussi une grande première pour moi. Et quelque chose me dit qu’il y aura d’autres lectures… Sans aucun doute.
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Un beau billet, tu donnes très envie de le lire 🙂 Plus simple chez moi, une nouvelle : To Repel Boarders (À l’abordage) de Jack London (1902, États-Unis) https://pativore.wordpress.com/2022/07/25/to-repel-boarders-a-labordage-de-jack-london/ ; je vais lire les billets des autres participantes 🙂
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Merci !
Je viens d’ajouter ta chronique à la sélection du lundi ! Merci pour ta participation ! Et bon choix pour London !
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Jamais lu Mishima et ce n’est pourtant pas l’envie qui manque, c’est une bonne idée de l’avoir choisi ce mois-ci.
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Des lectures très maritimes chez toi en ce moment.
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Oui, c’était le thème classique du mois.
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Je ne sais plus chez qui j’ai vu le nom de cet auteur pour la première fois… L’ourse bibliophile peut-être ?
Je dis toujours que la littérature japonaise ne me plaît pas mais tu arriverais à me faire changer d’avis.
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