Et mon coeur fait boum·Les classiques c'est fantastique

À l’est d’Eden – John Steinbeck

Il y a des appétits de bonheur, disait Samuel, qu’un paradis entier ne satisferait pas.
Dans la Vallée de Salinas, les Trask et les Hamilton sont des noms qui ne laissent pas indifférents. Adam Trask et Samuel Hamilton sont intimement liés par un respect profond et une amitié pudique. L’un et l’autre auront à cœur de s’épauler quand le quotidien se jouera un peu trop de leurs vies tentées par le chaos. Autour d’eux gravitent des hommes et des femmes qui égratigneront l’idéal que l’on projette parfois sur l’image de la famille. Parce qu’il en faut du courage pour affronter les personnalités sangsues, le poids des héritages et les tourments des douleurs secrètes.

On dit qu’une franche blessure se cicatrise mieux. Je trouve qu’il n’y a rien de plus triste qu’une amitié qui ne tient plus que par la colle des timbres-poste. Quand on ne peut plus voir, entendre, ou toucher un homme, il vaut mieux rompre les amarres.

Et comment agir, quand, à son tour, l’on devient l’un des maillons d’une lignée qui peine à se trouver sans savoir réellement quel·les coupables désigner face à la nécessaire résilience? Avec deux fils Caleb et Aaron – prénoms dont la résonance biblique avec Caïn et Abel laisse entrevoir bien des conflits latents – Adam goûtera aux affres de la jalousie, de la culpabilité et du pouvoir de l’argent sur les esprits naïfs ou trop fragiles.

Peut-être avons-nous tous un marais secret où le mal germe et prolifère.

Ce roman de Steinbeck est une œuvre grandiose, des plus abouties en termes de construction narrative où chaque destin est judicieusement entremêlé dans plusieurs récits et intrigues qui se nouent et se dénouent. Cette somme romanesque, en dehors de sa réussite absolue est également un terrible portrait de famille noyé dans une Amérique qui vivote entre grands projets et guerres qui broient. Loin du patriotisme américain qui éclate dans toute sa candeur, le pays vous place au sommet avec la même facilité qu’il vous enterre. Et quand l’Amérique se dédouane du sort qu’elle réserve à ses personnages, c’est au tour du cercle familial de ronger et dévorer sans aucun ménagement. Dès lors, certains personnages se gorgent de la lumière que d’autres n’auront jamais dans un théâtre de la vie qui ne ménage personne.

Peut-être le savoir est-il trop grand, mais peut-être aussi l’homme est-il trop petit, dit Lee. Peut-être qu’à force de s’agenouiller devant les atomes il finit par avoir une âme de la taille de ce qu’il adore.

Comment ne pas être sensible à toute la force d’esprit de Lee, la tristesse pure et flamboyante d’Adam, à la cruauté monstrueuse de Cathy et à la violence gauche de Charles ?  Des protagonistes aux personnages secondaires, tout ce joyeux monde se démène pour exister, pour aimer sans jamais jouer les bonnes cartes, pour pardonner ou se détruire, ultime rançon des tornades émotives qui bouleversent les familles.
Les gestes de la vie. Imitez-les, comme au théâtre. Et, au bout d’un temps, d’un très long temps, le mensonge deviendra réalité.
Je ne vous apprendrai rien en disant que Steinbeck est brillant et peut-être à ce jour mon auteur américain préféré. Je ne peux que vous encourager à le lire et vous donne plus particulièrement rendez-vous en janvier puisque nous n’aurons d’yeux que pour lui.
Steinbeck au milieu des livres:
Des souris et des hommes / Les Raisins de la colère

Prolongements & échos littéraires:
 – Des Souris et des hommes Steinbeck par Rebecca Dautremer
 – Le Diable tout le temps – Ronald Ray Pollock –
 –
Le Pouvoir du chien – Thomas Savage
À l’est d’Eden (East of Eden) – John Steinbeck
Traduit de l’américain par J-C Bonnardot
Éditions Le Livre de Poche
9,40€ / 786 pages / 1952
Prix Nobel de Littérature
Les Classiques c’est fantastique ! / Famille je t’aime, famille je te hais! / Lire l’ailleurs

24 réflexions au sujet de « À l’est d’Eden – John Steinbeck »

      1. Je ne sais pas vraiment. J’ai lu Des souris et des hommes en vo au lycée alors que je ne maîtrisais pas encore parfaitement l’anglais, je l’ai étudié pendant toute une année donc ça a peut-être joué. Quant à La perle, je l’ai trouvée trop sèche, trop étrange, mais je l’ai aussi découverte à 17 ans en cours donc…

        Aimé par 1 personne

    1. Je compte trois Steinbeck à mon actif de lectrice et j’avoue que ce roman est mon préféré également. Mais difficile de trancher tant Des Souris et des hommes est puissant (malgré sa brièveté) et Les Raisins de la colère impressionnant !

      Aimé par 1 personne

  1. un grand roman, j’ai lu ce roman pour la première fois à quinze ans, je me souviens encore du lieu et de la date parce que les arbres de Judée étaient en fleurs, depuis je l’ai lu peut être dix fois au cours des 60 années suivantes, quelque soit son âge on entre dans le roman, on aime les personnages, on est touché
    j’ai beaucoup aimé ton billet, j’ai l’intention de lire la nouvelle traduction des Souris et des hommes

    Aimé par 1 personne

    1. Merci pour ce beau message. Vous avez l’art d’évoquer ce souvenir avec une délicatesse évidente. J’espère pouvoir en faire autant et le relire aussi à mon tour.
      Quant à la nouvelle traduction de Des Souris et des hommes, je pense que j’y viendrai d’ici quelque temps. Elle me rend curieuse.

      J’aime

  2. Coucou ! J’avais adoré Des souris et des hommes au lycée (puis vu une pièce de théâtre superbe), et plus récemment, j’ai lu Les Raisins de la colère. Mais pas encore celui-ci ! Donc je note ! Pourquoi dis-tu qu’on en parlera en janvier ? Merci !

    Aimé par 1 personne

    1. Je trouve ça formidable d’avoir pu y être sensible dès le lycée. J’ai également vu – l’année dernière – une adaptation de ce chef d’œuvre Des Souris et des Hommes et cela m’a redonné envie de poursuivre ma lecture de Steinbeck.

      Pour janvier, j’organise avec Fanny, une autre blogueuse, un RDV littéraire classique autour de cet auteur. Autant dire que les chroniques vont être nombreuses et donneront, je l’espère, l’envie de le lire encore et encore.
      C’est dans le cadre d’un RDV mensuel « Les classiques c’est fantastique » que nous le lisons. Je te laisse le lien ici, si cela te tente de nous rejoindre de temps en temps, tout est expliqué dans la chronique.

      Les classiques c’est fantastique ! [Saison 3]

      J’aime

Laisser un commentaire