Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Lire l'ailleurs.

Le Pouvoir du chien – Thomas Savage

Ce caractère sacré de l’aurore qui pousse les hommes à tourner leurs regards vers l’intérieur d’eux-mêmes.

Montana. Grand Ouest américain. Un ranch familial et deux frères pour faire prospérer le domaine de Vieux Père et Vieille Mère. Phil et George sont ancrés aux terres de cette Amérique de poussière ocre, à ce monde où plane l’odeur de cigarette roulée. Alors que George est le discret, le gentiment moqué, l’homme bon, Phil est le provocateur impertinent, le cynique rustre mais brillant qu’on respecte pour sa personnalité intimidante. Alors qu’ils vivent depuis toujours ensemble, l’arrivée de Rose – veuve et mère de Peter – dans la vie de George vient troubler leur routine qui semblait profondément immuable.

George, habituellement en retrait, impose alors à Phil sa femme et son beau-fils qui ne voit pas d’un très bon œil ce nouveau mode de vie. Méfiant, désagréable et peu enclin à faire des efforts pour les accueillir, il fait de Rose un souffre-douleur par ses silences et regards qui transpirent le mépris et la condescendance. La cohabitation devient des plus malsaines, chacun·e devenant le témoin – ou l’incarnation – du pouvoir de la violence taiseuse ou cinglante qui n’a de cesse de gangréner une situation inextricable.

Phil savait, Dieu en est témoin, il savait parfaitement ce que c’est d’être un paria, et il avait détesté le monde par crainte que le monde ne le déteste en premier.

Présenter ce roman comme un western serait mentir un peu et risquer de faire fuir certain·es  – comme moi – n’ont pas spécialement d’affinités avec ce genre. Si la toile de fond est là et que le récit évolue dans un décor qui ne peut nier sa parenté avec les grands films de cet acabit, nos deux cow-boys ne sont assurément pas de ceux qui donnent dans la surenchère viriliste, prêts à dégainer leur colt en crachant par terre. Au diable les clichés et les grands récits épiques, dans ce roman, tout repose sur l’ambiguïté de cette relation triangulaire qui se nourrit essentiellement de tension psychologique, à défaut d’entretenir les lieux communs du genre.

Eh bien, être bon, c’est écarter les obstacles sur le chemin de ceux qui t’aiment ou qui ont besoin de toi.

Le Pouvoir du chien est un roman à l’image de ses personnages. En apparence simple et sans prétention, il cache en lui des rouages et des non-dits qui structurent très habilement le récit. Toute la subtilité de ce texte repose sur les mécanismes de l’implicite et tout ce qui sera tu aura autant d’importance que ce qui sera écrit. Thomas Savage glisse entre les lignes ces petits détails disséminés pour tresser les ressorts d’une intrigue qui lacère et qui frappe au moment propice. Roman de tous les antagonismes, ce texte tire sa force de cette cohabitation familiale cruellement bancale qui joue sur les faiblesses de chacun·e. À force d’observation et de silence, les protagonistes ont entre leur mains les clés de leur propre perte. Reste à savoir qui saura en faire le plus intelligent – ou perfide – des usages.

Comment supporterait-il le mépris et le silence ? Devait-elle le préparer à s’y attendre ? Quelle mère n’a pas envie que son fils la voie respectée de tous? Quelle mère n’a pas envie d’épargner à ses enfants le chaos que les adultes ont appris à supporter ?

Échos littéraires et prolongements divers:

Le Pouvoir du chien –  Thomas Savage
Traduit de l‘américain par Laura Derajinski
Éditions Gallmeister – Collection Totem
9,90 € / 288 pages / 2019
L’art du roman – Littérature étrangère – En sortir 22 en 2022 (6/22)
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12 réflexions au sujet de « Le Pouvoir du chien – Thomas Savage »

    1. Je ne sais pourquoi tu l’as laissé tombé, mais nous savons bien que tous les romans ne conviennent pas toujours, pas tout le temps. Tu n’es pas totalement fermée à l’idée de retenter alors à l’occasion…

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