L'Art du Roman·Les classiques c'est fantastique·Lire l'ailleurs.

Tortilla Flat – John Steinbeck

Car, chaque jour que Dieu fait, mille péripéties exceptionnelles marquent Tortilla Flat.

C’est sur l’avenue la plus populaire du village de Monterey en Californie que Danny va hériter de deux maisons voisines, lui offrant l’accès inespéré au statut si convoité de propriétaire. Habitué à sa petite vie sans éclat, il sent bien qu’un fossé risque de se creuser avec ses amis qui ont toujours vivoté en se contentant de vin et de menus travaux à réaliser. Soucieux du bien être de ses proches, il propose donc avec la générosité naïve qui le caractérise, de louer l’une de ses maisons à Pilon, un ami sans le sou qui lui promet solennellement de lui verser un loyer. C’est sans compter sur son goût prononcé pour la douceur et la légèreté de l’ivresse, puisqu’à chaque fois qu’il touche un peu d’argent, celui-ci disparaît dans les effluves alcoolisés. Pilon propose alors une collocation à Pablo pour s’assurer de payer Dany mais ce nouveau trublion semble partager le même vice pour le divin nectar, ayant peu d’appétences pour économiser le moindre denier… Ceci dit, ce n’est pas une problème pour eux, il suffira de trouver la bonne personne pour rejoindre cette fine équipe et honorer enfin les dettes qui s’accumulent.

Il est impossible de savoir si Danny s’attendait à toucher un loyer, ni si Pilon avait l’intention d’en payer un. Si tel était le cas, ils allaient tous les deux au-devant d’une déception. Danny ne réclama jamais rien et Pilon n’offrit pas davantage.

Pilou, Pablo, Jesus-Maria, le Pirate, Big Joe Portugee, Johnny Pom Pom et Tito Ralf. Cette énumération de sobriquets donne à elle seule le ton de ce roman. Je vous laisse imaginer cette sacrée bande de gouailleurs bêtes et fauchés qui gravitent autour de la maison de Tortilla Flat… Qu’ils soient mélancoliques, paumés, dépressifs ou désabusés ces personnages savent oublier le poids de leur quotidien de paisanos en buvant joyeusement, faute de mieux. Drôles et pathétiques à la fois, ils sont les parfaits héros d’un roman picaresque qui change totalement des grands récits à la puissance dramatique que Steinbeck maîtrise à la perfection. Il y a néanmoins quelque chose chez eux que j’ai le sentiment de retrouver – plus tardivement – chez les personnages de Beckett, à la fois étrangement drôles et absurdes me faisant parfois fait penser aux anti-héros de son théâtre tragique, la résignation et le côté torturé en moins…

L’après-midi s’installa avec autant de discrétion que l’âge chez un homme heureux. Un peu d’or se mêla à la lumière du soleil. La baie prit une teinte bleue plus intense et se couvrit de courtes lames, soulevées par le vent de terre. Les pêcheurs solitaires, qui se figurent que le poisson mord à marée haute, abandonnèrent leurs rochers et furent remplacés par d’autres pêcheurs convaincus que le poisson mord à marée basse.

Décidément, Steinbeck sait avec un talent qui force l’admiration dépeindre les rebuts de la société et transcrire le pire ou le meilleur qui sommeille en chacun de nous. Dire les affres de la nature humaine avec une telle simplicité et véracité n’est assurément pas donné à toutes les plumes et autant dire que cet auteur est maître en la matière. Cette fois, nous rions, nous goûtons à une verve cocasse et décelons cette tendresse qui écrase les regards qui condamneraient trop facilement ces pauvres bougres. Au diable le cynisme et le dédain, ce livre nous invite simplement à vivre auprès de ces hommes pour qui l’amitié est une valeur digne de tous les sacrifices, à la seule condition que les gallons de vin coulent et s’écoulent aussi paisiblement et joyeusement que la vie qu’ils ont choisi de mener.

Ma deuxième chronique Jamais sans mon Steinbeck ! pour ce rendez-vous Les classiques c’est fantastique ! de janvier coorganisé avec Fanny.

Les chroniques de : Fanny / Natiora

Les classiques c’est fantastique [Saison 3]

John Steinbeck au milieu des livres :

Tortilla Flat – John Steinbeck
Traduit de l’anglais (USA) par Brigitte V. Barbey
Éditions Gallimard – Collection Folio
 8,10€ / 251 pages / 1935
Lire l’ailleurs / Littérature américaine. / Les classiques c’est fantastique [Saison 3]
 

12 réflexions au sujet de « Tortilla Flat – John Steinbeck »

  1. Ces « forbans » ont une manière bien à eux de sanctionner l’atteinte au bien « sacré » d’autrui.
    Peut-on subodorer que Danny est quelque peu bipolaire (et ça ne doit pas être arrangé par son addiction…).
    La fin est amère.
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

    J’aime

Laisser un commentaire