Sale mercredi. Certains jours naissent laids. Dès leur première lumière, ils ne valent rien, quel que soit le temps, et tout le monde le sait. Un jour comme celui-là on n’arrive pas à se lever et on résiste à l’appel du jour naissant. Lorsque finalement, la faim ou le travail vous jettent dehors il est impossible de faire du bon café, les lacets de chaussures cassent, la vaisselle tombe toute seule du placard, les enfants francs deviennent menteurs.
Quelques années ont passé Rue de la Sardine et si peu de choses semblent avoir changé. Il règne toutefois dans l’air une mélancolie et une nostalgie impalpables. La Seconde Guerre mondiale n’est plus, mais quelques séquelles ou absents la rappellent à ceux qui sont restés ici. Doc a repris ses recherches dans son laboratoire marin, l’Ours, la prospère maison close a de beaux jours devant elle et Mack affectionne toujours autant sa vie d’errance et de bamboche. Lee Chong, quant à lui, a vendu l’épicerie à Marie-Jospeh, commerce qu’il gère en complément de petits trafics sur le dos des étrangers. Rien de nouveau sous le soleil californien pour nos beaux diables du quartier.
Je dirigeais un asile de nuit, alors des histoires navrantes, ça, j’en connais. Si on mettait bout à bout tous les malheurs que j’ai entendu raconter, la Bible aurait l’air d’une petite nouvelle.
Doc a un nouveau projet qui l’accapare et justifie à lui-seul son besoin immense de solitude: rédiger une thèse sur les poulpes. Si cette envie lui correspond assez bien, il ne parvient pas à se sentir légitime pour entrer dans la sphère des universitaires scientifiques. Moins présent pour ses amis vagabonds, il tend à s’enfermer des heures dans son laboratoire sans trop se soucier de cette petite fourmilière familière qu’est la Rue de laSardine.
Les bals masqués ont un autre avantage : les gens qui finissent par être fatigués d’eux-mêmes, deviennent quelqu’un d’autre.
C’est à peine s’il remarque Suzy, fraîchement débarquée dans le quartier. Il suffira pourtant de quelques regards bien appuyés pour que naisse un jeu de séduction fait de pudeur et de piques cinglantes entre les deux personnages. Cette idylle naissante – qui leur échappe totalement – offre à leurs dépens un spectacle vivifiant à leurs camarades avides de petits coups montés. Théâtre des passions contenues, scène grouillante des amours maladroites et tâtonnantes, le quartier s’amuse et complote. Les amis solidaires des fêtes passées se transforment en cupidons de pacotille et usent et abusent de leur énergie et de leur ingéniosité cocasse pour parvenir à leur fin.
On dit quelquefois qu’un amputé garde la sensation de sa jambe et se souvient d’elle. Eh bien, moi je me souviens de cette fille. Sans elle, je ne suis pas complet, je ne suis pas vivant. Lorsqu’elle était à mes côtés, j’étais plus vivant que jamais. À l’époque, je n’ai pas compris, mais aujourd’hui, c’est fait. Je ne suis pas un idiot: je sais que si je la conquiers, je passerai de sales moments. Bien des fois je souhaiterais ne l’avoir jamais rencontrée, mais je sais que si je rate je ne serai jamais un homme complet. Je vivrai une vie grise et pleurerai mon amour perdu, chaque heure qui me reste à vivre. Je pourrais me dire « Attendons, j’en rencontrerai de plus belles dans l’avenir », mais ce serait une erreur. Non seulement il n’y en a pas de plus belle, mais il n’y en a pas d’autre du tout. L’avenir sans elle est vide.
Steinbeck clôt ainsi avec ce titre un diptyque social au charme fou qui rend une fois plus grâce à cette humanité qui sommeille en chacun de nous. Quel choix parfait que ce titre à l’insatiable appétit de fragile tendresse. Avec un soupçon d’humour justement dosé et un ton parfois aussi désabusé que ses protagonistes, il nous livre des lignes délicieusement ancrées dans un monde qui a su se réinventer à partir de rien en s’arrosant d’un alcool qui les détourne, dans une joyeuse convivialité, de leur douloureuse condition. Un si belle farce humaine, entretenue par la force des inconditionnelles amitiés indéfectibles.
De toutes les inventions humaines, le remords est certainement la plus comique et la plus douloureuse.
Je connaissais Rue de la sardine (dans ma pal mais toujours pas lu), mais je ne savais pas qu’il y avait une suite. Tu confirmes qu’il faut absolument que je lise ce dyptique!
Oh oui. J’aime vraiment la manière dont cette histoire prend forme et évolue d’un roman à l’autre. Un diptyque qui m’est cher parmi mes lectures de l’auteur.
Merci beaucoup ! Cela me fait plaisir car j’ai pris autant de plaisir à lire les romans qu’à écrire ces chroniques. Je viens d’ailleurs d’en racheter un pour poursuivre cette série de lectures passionnantes. Je te souhaite de découvrir Steinbeck, peut-être avec Des Souris et des Hommes ou un des grands pavés type Les Raisins de la colère ou À l’est d’Eden pour débuter. C’est une chance d’avoir encore tout à découvrir le concernant.
C’est en vous lisant toi et Natiora que j’ai appris que c’était la suite de Rue de la sardine. Vous êtes assez convaincantes pour que ces deux titres figurent dans ma wishlist !
Bonjour
Je vois qu’en plus de Rue de la Sardine, vous êtes aussi allé voir du côté d eTortilla Flat. Lorsque je les avais chroniques tous les trois l’an dernier, je n’avais pas déniché de blog ayant chroniqué Tendre jeudi!
Oui, l’histoire avec Suzy n’est pas simple… et c’est un « esprit simple » qui apparaîtra finalement le plus doué dans le rôle du « Deus ex machina »!
Pour info, vous pouvez sûrement aussi faire participer ce billet (comme tous ceux portant sur des livres antérieurs à 1970) au challenge « 2023 sera classique » chez Nathalie ou Blandine!
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
Je connaissais Rue de la sardine (dans ma pal mais toujours pas lu), mais je ne savais pas qu’il y avait une suite. Tu confirmes qu’il faut absolument que je lise ce dyptique!
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Oh oui. J’aime vraiment la manière dont cette histoire prend forme et évolue d’un roman à l’autre. Un diptyque qui m’est cher parmi mes lectures de l’auteur.
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Tendre jeudi est dans ma pal (avec quelques autres Steinbeck !) mais je n’ai pas Rue de la sardine ! Je ne savais pas qu’ils se suivaient.
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C’était très chouette de lire tes chroniques sur Steinbeck. C’est un auteur que je n’ai jamais lu, mais tu m’as donné envie de le découvrir.
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Merci beaucoup ! Cela me fait plaisir car j’ai pris autant de plaisir à lire les romans qu’à écrire ces chroniques. Je viens d’ailleurs d’en racheter un pour poursuivre cette série de lectures passionnantes. Je te souhaite de découvrir Steinbeck, peut-être avec Des Souris et des Hommes ou un des grands pavés type Les Raisins de la colère ou À l’est d’Eden pour débuter. C’est une chance d’avoir encore tout à découvrir le concernant.
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Ce sont les trois qui me tentent le plus, ça tombe bien ! Je lirai avec plaisir les autres chroniques dédiées aux classiques 🙂
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Et n’hésite pas à participer si un jour le coeur t’en dit !
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Au moins, grâce à vous, j’aurais appris l’existence de cette suite, d’autant que ça semble être un chouette diptyque !
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C’est en vous lisant toi et Natiora que j’ai appris que c’était la suite de Rue de la sardine. Vous êtes assez convaincantes pour que ces deux titres figurent dans ma wishlist !
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Eh bien, Steinbeck a écrit beaucoup plus de livres que ce que je pensais…
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Bonjour
Je vois qu’en plus de Rue de la Sardine, vous êtes aussi allé voir du côté d eTortilla Flat. Lorsque je les avais chroniques tous les trois l’an dernier, je n’avais pas déniché de blog ayant chroniqué Tendre jeudi!
Oui, l’histoire avec Suzy n’est pas simple… et c’est un « esprit simple » qui apparaîtra finalement le plus doué dans le rôle du « Deus ex machina »!
Pour info, vous pouvez sûrement aussi faire participer ce billet (comme tous ceux portant sur des livres antérieurs à 1970) au challenge « 2023 sera classique » chez Nathalie ou Blandine!
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
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Oui, oui, je vais revenir à Steinbeck, je te le (re)promets :))
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Oh je note celui-ci ! J’ai lu et beaucoup aimé Rue de la sardine il y a quelques années et je retournerai avec plaisir dans ce coin-là.
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