Si l’on trouve un charme fou aux premières fois, l’on n’a que trop rarement l’occasion de saisir toute la beauté tragique des dernières fois insoupçonnées. Pour Yvonne, elles ont le goût amer d’un impossible retour, la douceur de caresse déchirantes d’un compagnon qui expire sur ses genoux, le regard triste qu’elle pose sur les volets en bois qu’elle n’ouvrira plus au petit jour, le bruit insolent d’une clé qui joue avec la serrure, l’odeur familière d’un lieu témoin de ses longues années dans la maison qu’elle s’apprête à quitter. Voilà à quoi ressemble sa symphonie des adieux.
J’aimerais que tu sois encore là Henri, que tu te perdes juste pour que je te retrouve. Je ne me fâcherais pas. Ta fugue serait pardonnée. J’enroulerais mes bras autour de tes épaules et je te dirais « viens ». Cinquante-huit ans avec toi, et puis ce vide après. On dirait que je sombre et que la chute est sans fin.
Non loin de là, une chambre l’attend. En EHPAD. Derrière une porte dont on espère toujours repousser l’ouverture. La voilà entourée de gens aux corps qui s’affaissent et se courbent, aux esprit perdus entre le passé trop flou et l’avenir qui porte si mal son nom, aux sourires qui masquent l’angoisse d’une solitude en collectivité. Yvonne goûte ainsi au quotidien d’une maison de retraite où se croisent les visages sillonnés et les silhouettes errantes. Une nouvelle vie à apprivoiser faite de premières fois désormais trop fades et de petites réjouissances blasées. L’occasion pour elle – entre jours sans et nostalgie profonde – de dérouler, malgré sa mémoire fragile, la bobine d’une vie qu’elle n’a cessé de chérir.
Tu vois Martial, c’est tout ça qu’on voudrait. La fragilité de l’amour et des baisers.
Quelle magnifique manière de mettre en lumière celles et ceux que l’on oublie parfois trop vite. Séverine Vidal aborde la question de la vieillesse avec une délicatesse saisissante. Le Plongeon, s’il offre une vraie échappée lumineuse à son héroïne, ne masque pas pour autant la réalité de la vie de ses protagonistes. Dans cet album aux cadrages toujours très bien pensés et à la sobriété d’une douce palette colorée, l’on dit avec beaucoup de tendresse et d’amertume toute la complexité de cet âge qui effraie souvent, synonyme de bien des renoncements.
Rien. Rien ne me revient. Mes mots… Tout. Tout m’échappe.
Sous le trait de Victor L.Pinel, d’un réalisme sans fard, le déclin des corps et des esprits se voit soudainement saisi d’une fureur de vivre qui oscille entre folie douce et ultime pied de nez à la vie. Et si le personnage d’Yvonne porte de bout en bout le récit, toute la réussite de cette bande dessinée repose également sur la beauté de ses nombreux personnages secondaires qui donnent une véritable épaisseur et humanité au récit. Une jolie manière de questionner avant l’heure – par la force des choses – ces vieux et ces vieilles personnes que nous deviendrons et de choyer celles et ceux que nous côtoyons.
Prolongements et écho littéraire :
- Les Vieux fourneaux – Lupano et Cauuet
- Jamais Duhamel
- Séverine Vidal Au milieu des livres : Naduah / George Sand, fille du siècle / Plus tard / Des Astres / Le Petit Secret
Le Plongeon – Séverine Vidal & Victor L. Pinel Éditions Grand Angle 17,90 € / 80 pages / 2021 BD de la semaine – 9e Art – Sacrées femmes |
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Les chroniques des amoureuses des bulles se trouvent
Au milieu des livres
Une BD très réaliste et qui m’a bien plu, même si ce n’est pas très gai. A ne pas lire après 60 ans !! 😉
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Je lui trouve tout de même une forme de joie diffuse bien qu’effectivement ce ne soit pas des plus réjouissants comme sujet. Quant à la lire après 60 ans, pourquoi pas? C’est discutable… J’ai souvent lu des histoires tristes à en crever après des ruptures amoureuses, des récits de deuil pour accompagner les miens. Alors parfois, la littérature miroir permet aussi d’apprivoiser quelque chose en nous.
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Oui, c’est une façon de voir les choses. Moi je suis plutôt du genre à lire des romans sur la guerre quand il y a du soleil et des romans légers quand je suis triste… 😉
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Haha ! Autant de bibliothérapie que de lecteurs et lectrices…
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ce n’est pas la première fois que j’en lis du bien, alors je note!
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Oh oui, tu fais bien. C’est une sacrée rencontre que cette Yvonne !
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Séverine Vidal a une place de choix chez toi !
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Qu’il s’agisse de ses romans ou de ses BD, je suis toujours très sensible à ce qu’elle nous raconte. (Et elle a aussi le don de nous confronter à des héroïnes de choix.)
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J’avais beaucoup aimé Jamais de Duhamel et celle-ci me plairait sûrement mais je crains qu’elle ne soit trop triste… Est-ce le cas ?
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Jamais aussi fut une belle lecture. D’ailleurs, j’ai cru apercevoir un tome 2 à paraître. Ai-je rêvé?
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Et pour répondre à ta question, je ne la trouve pas si triste que cela. Touchante assurément. Mais il y a aussi quelque chose de lumineux dans ces pages.
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Un sujet qui a de quoi effrayer!
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Et qui mérite d’être mis en lumière. Parce qu’il dit aussi la vie.
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Je pensais l’avoir déjà noté et je me rends compte qu’il n’est pas dans ma wishlist. Erreur réparé !
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Si l’oubli est réparé, c’est l’essentiel ! ^^
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faut que je l’achète !!
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Je l’ai beaucoup aimé et je ne l’ai pas trouvé si triste … les personnages ont une telle soif de vie. Ton billet est magnifique.
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Une lecture vraiment touchante, cette BD est magnifique !
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