J’écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne
Il attend l’embauche en bon intérimaire consciencieux. Puis c’est l’heure de la débauche qui l’obsède. La ligne est droite. Interminable, éternelle, répétitive, éreintante. Son chemin de croix a le goût du sel et du sang et l’odeur des bulots, des excréments, de la viande morte. Pendant que d’autres abattent machinalement, découpent et tranchent, il nettoie. Il fait le vide avant que tout recommence. Un Sisyphe moderne qu’on aurait arraché à sa montagne pour un territoire sans relief.
Dans ce récit, la ligne se veut multiple: celle d’une chaîne d’usine, celle de l’écriture, celle de la frontière entre deux mondes qui trop rarement se côtoient. La littérature s’est parfois emparée du monde ouvrier plus que le monde ouvrier ne s’est emparé de la littérature, et pourtant, Joseph Ponthus efface cette frontière tacite entre deux sphères qu’on croit inconciliables.
Le temps perdu
Cher Marcel je l’ai trouvé celui que tu recherchais
Viens à l’usine je te montrerai vite fait
Le temps perdu
Tu n’auras plus besoin d’en tartiner autant
A la manière de cet ouvrier qui nettoie l’abattoir, il distille, épure la langue en lui offrant un souffle inouï. Il délaisse ainsi la prose pour un vers libre, gomme la ponctuation comme l’avaient fait Cendrars et Apollinaire, crée son rythme en allant inlassablement à la ligne. C’est bref, saccadé, essentiel. Et ça vous prend par le col en vous empêchant de reposer le livre tant que votre chemin de lecteur ne vous a pas conduit vers la page finale.
A la ligne réussit un pari osé: arracher à l’usine sa poésie insoupçonnable, impossible à déceler si l’on se contente d’y voir le seul récit des jours routiniers et assommants. Féru de littérature, l’homme qui baigne dans les chairs à vif montre combien l’amour des mots a quelque chose de grand, salvateur, combien il vous délivre d’une vie qui ne laisse de place qu’à l’épuisement et à l’aliénation. En écrivant cette histoire qui est la sienne, Joseph Ponthus soustrait au temps des lignes écrites dans l’urgence. L’urgence par peur de l’oubli, qui, en épousant la fatigue du quotidien devient le pire ennemi de l’écrivain. Et si la poésie s’ignore dans les entrailles de l’usine abrutissante, l’écrivain l’injecte à coup d’anaphores et d’énumérations, l’invite par le biais de la métaphore et du détournement littéraire dans un théâtre d’hommes et de machines à qui la beauté, trop souvent, échappe.
L’usine bouleverse mon corps
Mes certitudes
Ce que je croyais savoir du travail et du repos
De la fatigue
De la joie
De l’humanité
Un récit qui dit à demi-mot l’ivresse et l’épuisement des soirs sans gloire, qui dessine les contours des silhouettes brisées mais unies fraternellement dans ce chaos quotidien, qui laisse entrer la poésie de Trenet, Brel ou Barbara dans les jours de pluie, qui convoque les grands noms d’une littérature qui se mêle humblement au trivial.
Et cette prose-là fait des merveilles, impose sa cadence à travers la voix lucide et franche d’un homme pudique qui vous prend aux tripes. C’est d’une beauté brute, brutale, étourdissante, sans pour autant bouder le sensible ni l’ironie. Cela sonne et résonne/raisonne juste.
Je ne sais pas s’il pleut sur Nantes
Mais il pleut sur Lorient
Et
J’ai le coeur chagrin
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Et si on prolongeait cette lecture ?
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- Un texte à croiser avec Bleu de travail de Thomas Vinau. (Deux plumes qui, sans se ressembler, s’offrent un très bel écho.)
- Peut-être que Joseph Ponthus pourrait aimer le Cosme de Guillaume Meurice
- Et vous pourriez en profiter pour découvrir de jolies bulles avec Un homme est mort de Kris et Davodeau
A la ligne – Joseph Ponthus
ISBN: 9782710389668
18€ / 266 pages
Très beau billet, Moka… encore une tentation !
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Merci beaucoup Kathel. J’avoue avoir été complètement happée par ce texte. Une curiosité qu’il est bon de lire dans le paysage littéraire.
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Déjà remarqué ! Il me semble que ce texte pourrait me convenir et comme d’habitude tu en parles si bien qu’on se dit qu’il ne faut pas passer à côté.
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Waouh ! Quelle chronique ! Je l’ai même lue trois fois tant elle est intense. Si tu voulais me convaincre de lire ce livre, tu ne t’y serais pas mieux prise ! Bravo !
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il ne m’attirait pas forcément au départ, mais finalement… oui!
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Quitte à se dire que non, il n’est pas fait pour nous, il faut oser aller vers ces pages-là. Surprenantes. Vraiment.
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Un peu méfiante au départ, quelques billets m’ont convaincue de le lire et tu en rajoutes une couche. J’espère qu’il va bientôt arriver à la bibli.
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Beau billet qui donne envie à ceux qui ne l’ont pas encore lu…. Pour moi aussi ce fut un beau moment de lecture, surprenant, déroutant parfois mais tellement vrai 🙂
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Qu de bons échos de ce livre. Noté !
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De bons échos sur ce livre. Il a l’air très bien écrit.
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Laure a aussi beaucoup apprécié mais je ne sais pas si ça me plairait…je ne suis pas friande de ce genre d’exercice littéraire ou alors à petite dose.
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Je crois que la réussite c’est que c’est tout sauf un exercice littéraire…
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Tu me ferais hésiter maintenant ! 😀
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Feuillette le et lis quelques pages avant… Histoire de… ^^
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Entièrement d’accord avec toi !Ce n’est pas un exercice littéraire et les émotions , la poésie et le regard très juste sur ces conditions de travail et ce travail sont criantes. Un coup de coeur entier et total pour moi .
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Très énigmatique comme commentaire 😀
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Tu es la 3eme personne à m’en dire le plus grand bien ! Et ton billet donne trop envie pour que je passe à côté. ..
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Celui-là est sur mes étagères. C’était un peu ma spécialité à la fac cette littérature du travail que beaucoup ont qualifiée de prolétarienne. Je vais donc me faire un plaisir de le lire, tu penses bien !
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Vu aujourd’hui en librairie. Je l’ai feuilleté, j’ai lu quelques mots, j’ai été séduite et je l’ai acheté 🙂
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Oh super !
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Comme on dit, il n’y a que les c***qui…
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Et cette idée me convient parfaitement…
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les avis sont assez unanimes, j’hésitais encore mais après avoir lu ta critique , je vais foncer 🙂
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Bonsoir Moka, j’ai eu du mal à entrer dedans les trois ou quatre premières pages et après j’ai eu un grand plaisir de lecture. Un coup de coeur en ce qui me concerne. Bonne soirée.
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Il faut se laisser prendre au jeu de cette plume là. Je suis ravie que ce titre soit devenu un coup de coeur comme il le fut pour moi !
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