Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Les classiques c'est fantastique

Le Mur invisible – Marlen Haushofer

Alors qu’elle passe quelques jours chez des amis de longue date au cœur de la forêt autrichienne, l’héroïne de ce roman se réveille seule sur son lieu de villégiature. En essayant de partir à leur rencontre dans la vallée, elle se heurte à l’impensable: un mur invisible l’isole soudainement du monde – ou de ce qu’il en reste – et la vie au-delà de cette frontière semble s’être arrêtée. Confrontée à la solitude, cohabitant avec un chien, une chatte et une vache, elle n’a d’autre choix que de revoir sa façon d’être au monde.

Je ne cherchais plus un sens capable de me rendre la vie plus supportable. Une telle exigence me paraissait démesurée. Les hommes avaient joué leurs propres jeux qui s’étaient presque toujours mal terminés. De quoi aurais-je pu me plaindre; j’étais l’une des leurs , je les comprenais trop bien. Mieux valait ne plus penser aux hommes .

Marlen Haushofer réinvente ici la tradition littéraire de la robinsonnade à la sauce post-apocalyptique, tout en déjouant les codes et les attentes liés à un tel genre. Si nous ne savons rien de ce qu’il est advenu du monde, nous entrevoyons la manière dont ce changement radical est vécu à travers son héroïne. Seule, elle nous livre son quotidien et ses pensées dans un livre-journal de bord qui consigne sa nouvelle vie et ses aléas. Chaque mot nous transporte au plus près de ce qu’elle éprouve et au-delà de ses tâches routinières, c’est tout un mode de vie qu’elle remet en cause.

Profondément philosophique, ce roman introspectif interroge sur la finitude humaine et son rapport à l’autre. Que devient-on quand on n’a plus personne d’autre que soi sur qui compter? Comment vit-on lorsqu’une catastrophe inexpliquée vous prend tout et ne vous laisse à peine ce qu’il faut pour vous réinventer? Comment survivre aux manques, aux souvenirs et aux deuils invisibles? À l’heure où l’on martèle à tout-va la nécessité de retrouver une vie sobre et délestée du superflu, ce livre nous offre une immersion fascinante auprès d’une femme qui m’a bouleversée.

Puisqu’il n’y a plus personne pour prononcer mon nom, il n’existe plus.

Amoureux·ses de rebondissements et d’actions spectaculaires, passez votre chemin. Entre contemplation et routine, la vie entre ces murs invisibles n’a rien de palpitant. L’essentiel est ailleurs et le roman tire sa force et sa beauté de tous les questionnements qu’il éveille en nous. De mon côté, j’ai dévoré ces pages absolument fascinée par cette héroïne et sa capacité à se dépasser face à cette situation inimaginable.

J’ai épousé ses peines, ses colères, ses doutes, ses impuissances. J’ai déploré la quasi-absence de livres dans ce petit chalet de fortune. J’ai admiré ce retour à la terre et porté ses fardeaux. Je l’ai aimée dans sa lumineuse simplicité et son incroyable capacité à aimer la vie par-dessus tout. J’ai évidemment cédé à la question sous-jacente de ce roman: et si je me retrouvais à sa place?

Les humains sont les seuls à être condamnés à courir après un sens qui ne peut exister. Je ne sais pas si j’arriverai un jour à prendre mon parti de cette révélation.

Cette lecture fut pour moi grisante et incroyablement belle. Une invitation à vivre au rythme lent des saisons, à être à l’écoute de la nature, de son corps et du monde alentour, tout en s’avouant que face à l’absence, au néant, à l’incompréhension et à la solitude, nous ne trouverons pas pire ennemi que nous-même. Un immense texte que ce roman-là.

Échos et prolongements littéraires

Le Mur invisible de Marlen Haushofer
Traduit de l’allemand par Patrick CHARBONNEAU, Jacqueline CHAMBON et Liselotte BODO
Éditions Actes sud – Collection Babel
9,20 € /  352 pages / 1963
Destin de femme Les classiques c’est fantastiqueMondes post-apocalyptiques

19 réflexions au sujet de « Le Mur invisible – Marlen Haushofer »

  1. C’est un livre que j’ai très envie de découvrir depuis… oups, depuis qu’une professeur m’avait donné envie de le lire (ce qui fait que c’est une envie qui a bientôt dix ans…). N’empêche, je ne l’ai jamais totalement oublié et, un jour, je le lirai. Ta chronique me laisse penser que je vais beaucoup l’aimer.

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