La maison nue ne sera bientôt plus. Vouée à la destruction, elle accueille pour la dernière fois trois personnages qui s’y installeront avant que ne sonne l’heure fatidique de la démolition. Un amoureux éconduit, obsédé par la femme qui l’a quitté. Une cavalière blessée attirée par le danger de manière impulsive et incontrôlable. Un écrivain perdu qui capitule au moment de noircir les pages qui restent désespérément trop blanches. Enfin, une femme de passage, spectatrice de cette cohabitation temporaire vient observer et commenter les va-et-vient de ces êtres qui déambulent dans la maison aux murs aussi fragiles que ses locataires. Derrière la porte, il faudra tromper la solitude, étouffer ou accepter les existences ternes. Derrière la porte, il faudra se mettre à nu, ôter ses doutes, abandonner ses douleurs dans les gravats, ne surtout pas laisser la chair devenir brique.
Si je suis pénible, que je ne suis pas celle que vous voulez, est ce que vous saurez m’aimer quand même ?
Au-delà de leurs échanges tourmentés et de leurs questionnements existentiels, les protagonistes investissent les lieux. Leurs corps s’approprient l’espace comme des comédien·nes ou des danseur·ses le feraient d’une scène en s’imprégnant de l’atmosphère qui y règne. Parfois, malgré les liens tenaces qui semblent entraver leur reconstruction, l’on sent surgir chez eux une impulsion salvatrice, une force nouvelle. Quant à cette étrange maison, elle ne saurait se contenter de n’être que briques et boiseries. Ouvrez donc l’œil et regardez-la se faire vieille femme tapie dans l’ombre, un œil sur le dernier ballet qui s’orchestre en son sein.
– Je l’aime pour nos ruptures. Pour sa façon de me froisser et de me balayer de sa vie. Pour sa façon de revenir et de s’excuser.
– Mais il ne faut pas lui pardonner.
– Quand elle sent qu’on pourrait être heureux, ça l’angoisse. Être trop bien ensemble, elle pense que c’est la mort de l’amour. Alors, elle l’assassine notre couple. Pour pouvoir le réanimer. C’est vraiment une grande dame.
Entre ces murs se jouent de petites scènes dignes d’une pièce de théâtre ou d’un spectacle de marionnettes. Comment ne pas songer à Sartre et son Huis clos avec cette Maison nue qui pourrait en être une forme de réécriture moderne ? Bien qu’au premier coup d’œil, l’album de Marion Fayolle puisse paraître très conceptuel et décalé, il se révèle finalement très à même de saisir les émotions palpables qui habitent et déchirent ses personnages. L’on retrouvera son goût pour les silhouettes disloquées, fragmentées et contorsionnés, on se réjouira de l’humour qui se glisse entre les pages et l’on restera fasciné·es face à certaines scènes absolument sublimes riches de symboles suggestifs. (Ndlr : la scène de l’effeuillage amoureux est ce que j’ai vu de plus touchant pour dire ces peaux ou ces corps qui ne savent ou ne peuvent plus être touchés.)
C’est à mon sens d’une grande beauté et loin d’être aussi figé que cela pourrait en avoir l’air. Voilà qui rompt totalement avec ce que peut proposer le 9e Art plus traditionnel et c’est pour cela que j’attends toujours avec la même impatience chaque album de l’autrice. À l’instar de la maison dont les murs s’écroulent, son trait brise les codes et se démarque des règles du genre. C’est ainsi que Marion Fayolle nous invite, le temps d’une parenthèse philosophique et enchantée où la métaphore est reine, à habiter poétiquement le monde et cela n’a pas de prix.
Marion Fayolle au milieu des livres :
À écouter : le passionnant podcast de l’émission Par les temps qui courent consacré à son travail.
À regarder inlassablement : le site de Marion Fayolle.
BO des pages tournées : Tel un seul homme – Pierre Lapointe
La Maison nue – Marion Fayolle Éditions Magnani 35 € / 256 pages / 2022 Bande dessinée / 9e Art / BD de la semaine |
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Ce mercredi, les amoureux·ses des bulles
sont Au milieu des livres.
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Fanny Eimelle Natiora Mylène Sabine
Antigone Gambadou Bidib Pati Brize
Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir un jour fait découvrir le travail de Marion Fayolle. Et depuis je suis ses sorties avec intérêt ! Celui-ci n’est pas encore dans ma pal mais il le sera prochainement.
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Merci pour la découverte ! A tenter donc ;).
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ça l’air assez perché je suis pas sûre d’être réceptive à ce genre de récits, mais si je tombe dessus en bibliothèque j’y jetterais un œil
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Connaissant tes lectures, je pense que tu n’es clairement pas le lectorat sensible à ce type de BD. Mais on peut parfois être surpris où se laisser surprendre.
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J’aime bien lorsque le lieu/la maison est un personnage à part entière, voire le principal. Mais je ne sais pas si le reste me plairait. J’ai déjà noté des albums d’elle que tu avais chroniqué (peut-être plus pour ton enthousiasme que le sujet), il me faudrait sauter le pas, pour vraiment savoir
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Je veux bien être invitée à habiter poétiquement le monde. Et comme je ne connais encore l’autrice que de nom, il est grand temps que je découvre son travail.
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Je l’avais repéré pour une amatrice de l’auteure et suis ravie que tu en dises du bien .
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Je ne suis pas très attirée par le trait de l’autrice… Mais tu en dis tellement de bien que j’essaierai un jour ou l’autre !
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Une BD qui sort de l’ordinaire. Pas très attirée par le graphisme, mais ce que tu en dis donne envie d’essayer.
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J’avais beaucoup aimé La Tendresse de pierres, cet album-là a l’air vraiment particulier, je ne sais pas…
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d’un côté je suis curieuse et de l’autre pas tentée du tout hihihi
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Assez peu en phase avec tes habitudes de lecture effectivement.
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Je viens de vérifier, il n’y a aucun album de cette autrice sur mon réseau de bibliothèques… Graphiquement je ne suis pas sûre que ça me plaise, ça a l’air bien original, alors la bibli est un bon moyen de tenter… Je vais suggérer ce titre !
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(Suggère éventuellement La tendresse des pierres pour commencer.)
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Bonne idée, merci ! 🙂
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