
« Si j’avais dû trouver un élément pour symboliser mon père, j’aurais choisi les pierres. Mais, attention, pas les galets lisses et doux. Non, plutôt les rochers qui piquent les pieds si on leur marche dessus sans chaussures. Ceux qui sont recouverts d’aspérités. Ceux qui râpent, qui coupent, qui sont agressifs et froids. Mon père était un rocher sur lequel on aurait aimé s’agripper sans se blesser. Sous lequel on aurait aimé s’abriter sans se sentir menacé. Souvent, je me suis entaillé les doigts en m’accrochant trop à lui. […] Il avait en lui un peu plus de tendresse qu’avant mais on continuait à se couper les doigts et à se blesser si on l’enlaçait de trop près.«
Sans les bulles du Lundi, ma découverte de Marion Fayolle aurait eu lieu mais aurait assurément été bien plus tardive… A croire que ce « coup de pouce » valait de l’or.
A mi-chemin entre la bande-dessinée et l’album, ce titre occupe déjà une place à part dans le paysage des beaux livres, des beaux objets que l’on se plaira à mettre en avant dans sa bibliothèque, non sans une certaine fierté. La couverture, aux tons printaniers aurait pu avoir quelque chose de léger et serein si cette énorme pierre ne venait pas plomber cette insouciante scène familiale. L’univers de Marion Fayolle est là, lourd de symboles, et rien de telle que la subtilité millénaire d’une fable hors du commun pour faire de ce livre le plus beau des adieux.
« On a retiré un poumon de Papa. Papa assistait avec nous à l’enterrement d’une partie de son corps. Certains reniflaient dans leurs mouchoirs. D’autres suivaient le cortège sans vraiment réaliser qu’un morceau de mon père venait de disparaître et que peut-être, bientôt, on lui retirerait d’autres bouts de son corps, jusqu’à l’enterrer tout entier. »
C’est l’adieu au père qui est au cœur de cette histoire. Et comme pour atténuer une réalité trop douloureuse, Marion Fayolle choisit de raconter, avec son regard et ses mots virtuoses, ces jours qui passent, jusqu’au dernier souffle de vie. C’est d’abord l’histoire d’un corps malmené qu’elle évoque avec une poésie surréaliste, faisant de chaque nouvelle épreuve un récit tantôt drôle, tantôt piquant. (Nikolaï Gogol n’est pas loin…) C’est ensuite un regard sur une famille qui éclate et se brise sous le poids de la terrible nouvelle. Un père qui n’est plus à sa place et qui glisse sans prévenir de l’arbre généalogique sous le regard vide des ancêtres fantomatiques et celui terrifié, des vivants… De l’homme qu’on devine dur et autoritaire, il devient celui qu’on prend en charge comme un enfant maladroit. Il est ce tyran malade, le Roi implacable d’une réalité qui aura pourtant le dessus sur lui. L’artiste rassemble les feuilles, les nourrit de son imaginaire décalé, saisit les non-dits pour les gorger d’ironie et redécouvre son père, autrement.

Il m’a rarement été donné de lire un texte si beau, sublimé à ce point par un univers graphique aussi créatif, impertinent et singulier. A des milliers de kilomètres d’un récit larmoyant et pathétique, la talentueuse Marion confère un onirisme fascinant à ces mois qui conduisent à l’impensable. Elle dit aussi ses peurs et ses colères en parsemant son récit de métaphores faussement naïves… Un livre plein d’audace, un ravissement.
Pour elle, c’est un poumon fragile, puis un corps qui s’éteint, pour d’autres ce sera un cœur qui s’arrête, une veine qui éclate, un réveil dont ne sort jamais, un crabe qui prend ses quartiers d’hiver dans le corps d’un être aimé. Il y a bien des pères dans ces pages, des proches qui nous échappent ou nous échapperont inscrits en filigrane, presque invisibles mais pourtant bien là. Le coup de maître demeure cette force et cette vitalité incroyables, presque impalpables qu’elle insuffle dans ce livre grandiose à la tonalité absurde. L’acte de création comme ultime échappatoire. Un travail de longue haleine qui m’a totalement subjuguée me laissant la gorge serrée et les yeux plein de larmes…Une sensibilité délicate qui est entrée en collision, de plein fouet, avec la mienne.
Le blog de Marion Fayolle.
Marion Fayolle, au milieu des livres:
Les Coquins / Les Amours suspendues / L’Homme en pièces
La Tendresse des pierres – Marion Fayolle
Éditions Magnani.
ISBN : 9782953981797
144 pages /25,90 euros

Je passe juste faire coucou, je ne te lis pas, je n’aime pas être un homme sous influence 😉
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Mouahahahah ! Allez file, et ne reviens me lire qu’avec ton jean slim.
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Très beau billet! L’image du père…je ne sais pas si je vais parvenir à surmonter mes craintes mais je le note à au creux du carnet.
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honte à moi…je passe par ici très régulièrement et je ne poste plus donc un petit mot pour te faire un petit coucou jolie Camille!!
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ça a l’air effectivement très beau !
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Un dessin qui me tente.
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Rien qu’en te lisant, j’ai envie de pleurer.
Je note pour lire sous le soleil.
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Un ami me l’a prêté, tu m’as convaincu de me plonger dedans dès à présent ! Merci
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Un très beau billet. Sans doute une histoire trop sensible pour moi : je crains les livres qui me font pleurer, même s’il s’agit de beaux livres.
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Comment résister ?
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J’ai hésité à la choisir pour « la BD fait son festival » chez Price Minister… J’aurais peut-être dû!
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JeleveuxmaisjesuispauvreJeleveuxmaisjesuispauvre…
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Jel’aimaisjesuisàdécouvertJel’aimaisjesuisàdécouvert.
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Tu donnes envie !!!! Je le note !
* je suis en train de m’achever, j’ai cliqué sur le tag coup de coeur, je note tout haha… *
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Mince… 20/20…? Message reçu ! 😉
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