BD de la semaine·Et mon coeur fait boum·Neuvième art

Céleste – « Bien sûr Monsieur Proust » – Chloé Cruchaudet

Céleste Albaret est encore toute jeune lorsqu’elle obtient une place  de gouvernante auprès de Marcel Proust. Mariée à Odilon, son chauffeur, elle trouve par un heureux concours de circonstances ce poste qui lui fait côtoyer de près l’un des monstres sacrés de la littérature française. D’abord préposée au service et aux tâches quotidiennes, elle se montre disponible au bon vouloir des caprices de l’auteur,  à l’écoute et d’un professionnalisme hors pair. Sa présence devient précieuse et le regard de Proust change sur cette femme qui apparaît très vite comme indispensable. Sans surprise, Céleste se voit alors confier des missions de la plus haute importance, notamment en lien avec le travail de l’écrivain. La voilà aux premières loges – et parfois complice – d’un spectacle littéraire exceptionnel.

C’est une petite chose fragile et délicate qui a besoin de nous…

Premier tome d’un diptyque signé Chloé Cruchaudet, cet album déplace les projecteurs de l’artiste à la femme de l’ombre. Le décalage est habile car les deux portraits se tissent l’un avec l’autre, l’un en regard de l’autre. Ainsi, l’on découvre un Marcel Proust dandy précieux et condescendant, particulièrement fragile et noyé dans ses manies et névroses. La sérénité et le flegme de sa gouvernante contrastent avec le caractère parfois cyclothymique de l’écrivain pour mieux dire combien ces deux-là ont su se trouver. Quel que soit son âge, Céleste n’est que douceur auprès de celui qui lui offrira sa plus grande confiance, à raison.

J’ai la phrase longue, mais le souffle court.

Le dessin de l’autrice, vaporeux et virevoltant offre une légèreté folle aux planches et l’on se plonge dans des cases gorgées de lavis rosés ou bleutés. Chloé Cruchaudet déconstruit par ailleurs le traditionnel gaufrier offrant une totale liberté à ses pinceaux et l’on saura apprécier le travail très symbolique qui s’empare des rouages de la mémoire et du souvenir, réflexion essentielle et véritable colonne vertébrale de La Recherche. La réussite de ce premier album tient aussi au fait que l’autrice ne se contente pas d’un portrait d’écrivain sacralisé ou outrageusement élogieux. Proust y est présenté dans toutes ses facettes comme pour mieux souligner toute la complexité de l’homme. À ses côtés, Céleste a parfois des allures de Pierrot-Colombine, mais ne saurait être réduite à un pantin corvéable à merci. Elle est aussi un personnage singulier, particulièrement ambigu qui ne vole en rien ici son statut de protagoniste.

Je pense que l’amour, quelle que soit sa forme, est très… surévalué. L’art, lui, ne nous déçoit jamais.

Ainsi, ne cherchez pas ici une quelconque adaptation fragmentée des romans de l’écrivain, encore moins une biographie proustienne. L’enjeu de ce titre est ailleurs. Dans cet album d’une élégance indéniable, nous nous éloignons des grandes sphères de l’Histoire littéraire pour mieux saisir l’intimité des êtres tout en nous faisant témoins des mécanismes de création qui ont poussé Marcel Proust à écrire une des fresques monumentales de la littérature française du XXe. Un magnifique portrait de femme qui promet un second tome passionnant.

Cette BD me permet de proposer une chronique entrant parfaitement dans le cadre de notre rendez-vous classique de la semaine autour de l’Art, quelle que soit sa forme. Hommage littéraire pour ces dernières bulles du mercredi avant la trêve estivale.

Les classiques c’est fantastique [SAISON 3]

Prolongements et échos:

Céleste « Bien sûr, monsieur Proust –  Chloé Cruchaudet (Première partie)
Éditions Soleil – Collection Noctambule
18.95 € / 116 pages / 2022
BD de la semaine9e ArtSacrées femmes

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Les chroniques des amoureuses des bulles se retrouvent
une dernière fois avant les vacances:

Au milieu des livres

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Blandine     Nath        Mylène       Fanny     Eimelle 

       Natiora      Gambadou     Bidib       Maël  

   Caro             Pati          Jérôme         Karine      

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