Il y a des réalités qu’on ne peut faire saisir à ceux qui ne les portent pas déjà en eux.
Madeleine de Gouvres, femme du monde et jeune veuve, s’est amourachée de Lepré qui se montre assez peu sensible à son affection. Elle tente avec toute la pudeur et la retenue de son siècle de lui signifier son attachement et de se renseigner sur les intentions de cet homme qui ne la laisse pas insensible.
Il aime les femmes ignobles qu’on ramasse dans la boue et il les aime follement ; […] et non seulement il les aime follement, mais il n’aime qu’elles.
Peu avant sa mort, une femme se décide à faire le plus pesant des aveux au risque de ternir éternellement sa réputation.
Un homme – le narrateur – erre dans les couloirs d’un hôtel d’une station balnéaire normande et se retrouve saisi par la puissance et la beauté d’une odeur, devenue souvenir impérissable et inoubliable.
Jamais je n’oublierai cette fine persistance de l’odeur primitive donnant sa tonalité à l’arôme de ce vaste vent.
Enfin, un dernier titre de ce recueil vient quelque peu rompre avec les trois autres nouvelles puisque nous glissons vers une bribe d’essai ou d’écrit réflexif sur la l’obscurité de langue et ses conséquences sur la réception littéraire. Dans Contre l’obscurité, il s’interroge sur la complexité de l’écriture poétique ou romanesque – notamment chez les symbolistes – rendue difficile d’accès face à un langage gorgé de symboles insaisissables qui dépossèdent ces œuvres d’une part de leur beauté. Le mystère est nécessaire, mais résolument ailleurs que dans cette effervescence stylistique sans âme. C’est ici la casquette du critique littéraire, fin observateur de la littérature de son époque qui s’affirme à travers ces pages qui ne manquent pas d’intérêt, d’autant plus quand on connaît toute la difficulté éprouvée à lire l’œuvre de Proust aujourd’hui.
Dans la langue, tout ce qui est nouveau est obscur.
Se confronter à l’écriture du grand Marcel et à son œuvre n’implique pas nécessairement de se lancer corps et âme dans la lecture de La Recherche. Pourquoi ne pas se laisser prendre au jeu de la découverte avec des textes moins intimidants et plus accessibles? Le recueil L’Indifférent regroupe ainsi quelques textes de jeunesse qui s’apparentent à des nouvelles. L’on y retrouve le goût de l’auteur pour les intrigues amoureuses assez platoniques et les histoires de la haute société aristocratique. Les mondain·es y sont dépeint·es sous le regard proustien et cela sonne comme un avant-goût de l’immense projet d’écriture que nous offrira Marcel Proust par la suite. La plume, d’une grande finesse, est déjà là sans pour autant être inaccessible et l’on pourra commencer à entrevoir cet art d’écrire si singulier qui a fait de lui le monstre sacré qu’il est. Une parfaite mise en bouche avant de savourer les sept tomes de La Recherche qui ont marqué l’histoire de la Littérature.
C’est avec ce titre que je clos cette semaine classique en compagnie de Fanny et les autres participant·es. Cela m’ennuyait de ne pas consacrer un billet à Proust et ce court recueil était idéal pour lui laisser une place dans cette semaine déjà bien chargée… Le bilan sera bientôt en ligne et quelque chose me dit que le dandy moustachu a été boudé au profit du grand barbu. Affaire à suivre.
Et pour les volontaires et grand·es motivé·es, nous vous donnons rendez-vous le mois prochain, dernier lundi du mois, autour des titres qui contiennent un nom ou un prénom ! Pour rappel, le programme de la saison 3 se trouve ici : clic !

À lire à l’occasion :
- Clara lit Proust – de Stéphane Carlier chroniqué cette semaine par Marilyne.
- Sur la lecture – Marcel Proust
- Ma chronique BD sur Céleste – « Bien sûr Monsieur Proust » – Chloé Cruchaudet
- Monsieur Proust la BD de Corinne Maier & Stéphane Manel proposée par Natiora que j’aimerais beaucoup lire.
- Une chronique so 2016 et mes réponses au questionnaire de Proust.
- Et La Recherche, of course !
L’Indifférent – Marcel Proust Éditions Fayard – Collection Mille et une nuits 3,50 € / 64 pages / 1896 (2022 pour la présente édition) Les classiques c’est fantastique / Marcel Proust / XXe |
Quelle bonne idée de s’aventurer du côté de ses textes moins connus ! Cela parait en effet moins intimidant. A retenir pour le jour où j’aurais envie de me frotter de nouveau à l’écriture de Proust, en espérant cette fois me souvenir de ce que j’ai lu… A bientôt pour les prénoms ! Ma liste est prête, il n’y a plus qu’à ^^
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Je me laisserai bien tenter par ce livre.
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Je pensais que les livres de la Recherche seraient les seuls proposés mais c’est avec plaisir que je vois que toi et d’autres, vous vous êtes aventurées vers des textes moins connus (et plus accessibles 🙂 )
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