Sethe est une ancienne esclave de l’Amérique post-guerre de Sécession. Elle doit son salut et sa survie à sa fuite et ses errances pour espérer trouver la liberté là où l’Amérique tolère celles et ceux qu’elle tue dans une violence sans nom selon l’état où vous mettez les pieds. Être esclave, c’est tout subir, c’est être nié·e dans votre humanité, c’est laisser les monstres vous posséder jusqu’au creux des reins, c’est se taire pour gagner votre maigre illusion de liberté. Sethe a alors commis le plus terrible des crimes sur l’échelle de l’abject: elle a tué son enfant afin de lui éviter ce quotidien intolérable, afin qu’elle échappe à l’odieuse barbarie des blancs.
Cet enfant-là, elle ne pouvait pas l’aimer, et les autres, elle ne voulait pas les aimer.
Héritière de la fascinante infanticide Médée, Sethe paie le prix fort de son crime. Hantée par le fantôme de Beloved, son enfant assassinée, elle cohabite avec ce souvenir tellement puissant qu’il est ici incarné entre ces pages où s’invitent la magie noire et les croyances qui se moquent des frontières entre le monde, les limbes et l’au-delà. Beloved dont la douceur du prénom n’a d’égal que sa fureur et sa colère, revient ainsi près de sa mère et de Denver, seule enfant qui vit encore avec Sethe. Cette cohabitation improbable est aussi l’occasion de lire de très belles pages sur l’amour maternel et le poids des choix qui jalonnent l’existence.
Si on me demandait mon avis, je dirais; ne t’attache jamais à rien.
Inspiré d’un fait divers, Beloved est un roman hanté par des fantômes et des voix qui ont un jour été étouffées. Roman à la structure complexe, il résiste à son lectorat qui pourrait s’y perdre s’il cherche dans ces pages la fluidité narrative. L’autrice, dans une langue parfois issue du parlé des anciens esclaves qui rappelle le roman Et leurs yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston, nous entraîne dans un récit labyrinthique, aux tonalités souvent incantatoires, qui ravive les souvenirs enfouis dans les mémoires traumatisées ayant conservé les images obsédantes de la torture, de la souffrance, de l’horreur et du crime.
Il est inutile de chercher plus avant, car tout ce qui est là peut être embrassé d’un coup d’œil. Denver cherche quand même, parce que le sentiment de perte est irrépressible.
Si j’ai parfois soupiré et peiné à réorchestrer le fil narratif de ce roman exigeant et étonnant, j’ai trouvé la plume de Toni Morrison d’une singularité qui sert magistralement son imaginaire sans limite. Dans une écriture marquée par les analepses, les silences et le règne de l’implicite, elle nous laisse le soin de composer ce tableau qu’elle construit avec minutie dans la brume. Au fil des pages et des points de vue des personnages se tisse une œuvre parfois hermétique qui interpelle, dérange et qui se clôt sur un final percutant d’une beauté fulgurante à souhait.
Il y a une solitude que l’on peut bercer. Bras croisés, genoux remontés, on se tient, on se cramponne et ce mouvement, à la différence de celui d’un bateau, apaise et contient l’esseulé qui se berce. C’est une solitude intérieure, qui enveloppe étroitement comme une peau. Puis il y a une solitude vagabonde, indépendante. Celle-là, sèche et envahissante, fait que le bruit de son propre pas semble venir de quelque endroit lointain.
Une unique chronique finalement pour moi ce mois-ci si je veux honorer comme il se doit la grande battle marathon Dickens vs Dumas d’août.
Vous retrouverez les billets de Fanny (1) (2)/ Natiora / Lolo / L’Ourse bibliophile / Mag / Antigone / Virginie (1) (2) / Madame Lit / Katell (1) (2)/ Jérôme / Lily / Ingannmic / Céline / Un livre un thé /
Prolongements et échos littéraires:
Côté littérature afro-américaine :
- Et nos yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston,
- Barracoon de Zora Neale Hurston
- Rassemblez-vous en mon nom de Maya Angelou
- Douze ans d’esclavage de Solomon Northup
- Underground Railroad – Colson Whitehead
Toutes mes chroniques consacrées à la figure mythologique de Médée dans la littérature. (Monomanie mon amour)
- Médée de Jean Anouilh (que j’aime d’amour.)
- Les tome 1, tome 2, tome 3 et 4 de la série BD de Nancy Pena et Blandine Le Callet.
- Médée d’Euripide.
- Médée de Sénèque.
- Médée de Corneille.
- Médée Kali de Laurent Gaudé.
- Médée de Max Rouquette.
- Médée la magicienne de Valérie Sigward
- Médée de Christa Wolf
- Beloved de Toni Morrison.
- L’Obscure Clarté de l’air de David Vann
Beloved – Toni Morrison |
L’esclavage fait partie des horreurs de la condition humaine et a marqué à jamais les pays qui l’ont pratiqué au 19° siècle.
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Ce roman est compliqué mais magnifique en effet.
Ça me fait penser que je n’ai encore jamais lu Zora Neale Hurston.
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J’avais envie de lire les deux textes que j’ai suggéré en prolongement à la fin de l’article mais cela était totalement impossible au regard de tout ce que je veux lire cet été. Mais j’y viendrai.
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C’est aussi cette auteure que j’ai choisie pour la thématique de juillet, avec un titre plus abordable : si la narration n’y est pas tout à fait linéaire, l’ensemble du récit est suffisamment concret pour qu’on ne s’y perde pas. Je n’ai pas lu Beloved, mais ton impression suite à cette lecture me rappelle fortement celle de Jazz, assez compliquée aussi..
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« Beloved », je l’ai lu en 2020, dans le cadre du Mois américain, challenge qui n’existe plus, hélas.
Une lecture éblouissante et prenante. En un mot comme en mille, j’avais adoré!
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J’aime aussi Jean Anouilh d’amour 😉.
J’irai lire tous vos articles quand je serai un peu plus disponible ❤.
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Je n’ai jamais osé lire ce bouquin tant je trouve le thème de l’infanticide difficile…
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Ici c’est aussi et surtout la condition d’esclave qui rend le sujet particulièrement sensible.
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D’accord. Merci de me le préciser…
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il m’avait beaucoup marquée (comme tant d’autres autour de Médée aussi!)
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J’ai bien aimé ce livre, il est marquant. Il faut que je continue de découvrir cet auteur.
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Je crois que je vais faire de même et poursuivre ma découverte.
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Une lecture complexe je te rejoins mais qui vaut le détour.
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Clairement je suis ravie qu’elle ait fait partie de mon été malgré sa complexité.
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Ce roman semble aussi ardu par sa construction qu’original. Partagée entre la force de L’oeil le plus bleu et Un don qui m’avait laissée de côté, je ne sais qu’en penser. Je pense que je tenterai un jour, sans que ce soit forcément le prochain que je tirerai de sa bibliographie.
Et en complément, ta bibliographie su Médée est alléchante !
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Oui, il l’est vraiment. J’aime aussi de temps en temps me heurter à une littérature plus « résistante ». Pour la biblio Médée, j’avoue qu’on sent bien mon obsession pour le personnage. ^^
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C’est un personnage intéressant, il faut dire ! La version d’Anouilh m’attire tout particulièrement.
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Ma préférée 😁
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Je l’avais lu il y a longtemps mais je n’en ai pas gardé un bon souvenir, faudrait que je retente un jour.
Ma participation pour ce mois-ci :https://unlivreunthe.wordpress.com/2023/08/05/dans-la-peau-dun-noir-j-h-griffin/
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Je pense qu’il est difficile et je comprends parfaitement que ça ne passe pas avec tout le monde.
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Je connais très peu cette autrice ! Je sors d’un roman à la structure complexe, je vais un peu patienter… 🙂
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Oui je pense qu’il faut être dans de bonnes dispositions pour se lancer.
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Mon roman préféré de l’autrice.
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Un texte d’une grande complexité.
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Je dois ABSOLUMENT le relire! Je l’avais lu directement après L’oeil le plus bleu et je m’étais complètement vautrée. La deuxième fois sera la bonne.
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J’avais bien aimé sans plus. Comme d’habitude avec Toni Morrison à vrai dire, c’était une surprise pour moi que le roman choisi pour le challenge soit un coup de cœur.
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Toujours un peu compliqué à suivre les romans de Toni Morrison. On va dire que c’est de la littérature « exigeante » 🙂
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J’ai mis un certain temps à y trouver ma place.
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