Coup de théâtre !

Médée Kali – Laurent Gaudé

Je succombe à la beauté des hommes. C’est mon vertige.

Le mal est fait. Irréversible. Le sang a coulé de la gorge de ses enfants jusqu’à sa main refermée sur la lame tranchante. Une main assurée qui a même eu l’audace et l’indécence de ne pas trembler. Médée n’a peur de rien. Ni de l’horreur que suscitera éternellement son nom d’abjecte criminelle, ni de ce que peuvent penser ceux qui ne verront que la folie furieuse et la jalousie dans son geste. Alors elle prend la parole pour se dire, brandit le « je » comme un étendard de son ego démesuré pour raconter ses blessures, pour dire son amour de Jason, et des hommes. Et pour briser ce flux intarissable de parole, telle une conscience cachée ou une intervention morale fantomatique, chaque scène laisse la parole au chœur de ses enfants assassinés.

Je veux sentir le silence plein d’un homme dans mon dos.

La pièce de théâtre de Laurent Gaudé laisse finalement toute la place au personnage de Médée Kali en lui offrant un monologue dans lequel seuls ses mots comptent, seule sa voix porte. Sa Médée aux allures de déesse hindoue incarne incontestablement la toute puissance de la sensualité, du désir et du refus de se soumettre à la culpabilité qui ronge. Médée restera toujours Médée, fidèle à ses colères, conforme à ce que son destin tragique a choisi pour elle. Ce texte charnel qui fait de Médée une femme qui danse, charme, séduit, ensorcelle: elle est le danger qui appelle à céder diaboliquement à la tentation comme à la folie.

La voix de l’héroïne tragique est pleine d’un souffle éminemment voluptueux. Médée prend ainsi la parole sans laisser de place à l’autre. Et pourtant, nous la savons suivie par cet inconnu séduisant qui jamais ne s’approche d’elle, laissant planer le doute sur les raisons qui le poussent à ne pas la quitter des yeux. L’occasion pour elle d’entrer dans une danse séductrice et légère. Mais le spectateur-lecteur sait que le grave et le tragique ne sont jamais loin, et veillent sur elle comme un manteau de noirceur dont il faut savoir se méfier.

Tu n’as rien eu à demander.J’étais ce que tu voulais. Une mère pour tes enfants, une chienne fidèle pour tes vieux jours. J’étais ce que tu voulais. L’amante. Ou le poignard. J’acceptais tout.

Des pages qui, une fois encore, offrent au personnage de Médée une puissance indéniable et viennent étoffer son aura littéraire qui n’a de cesse de me fasciner…

Mes chroniques autour du personnage de Médée en littérature:

  • Médée de Jean Anouilh (que j’aime d’amour.)
  • Le tome 1 de la série BD de Nancy Pena et Blandine Le Callet.
  • Le tome 2 de la série BD de Nancy Pena et Blandine Le Callet.
  • Le tome 3 de la série BD de Nancy Pena et Blandine Le Callet.
  • Le tome 4 de la série BD de Nancy Pena et Blandine Le Callet.
  • Médée d’Euripide.
  • Médée de Sénèque.
  • Médée de Corneille.
  • Médée Kali de Laurent Gaudé.
  • Médée de Max Rouquette.
  • Médée la magicienne de Valérie Sigward
  • Médée de Christa Wolf
  • Beloved de Toni Morrison.
  • L’Obscure Clarté de l’air de David Vann
Médée Kali de Laurent Gaudé
Actes Sud, dans la collection Papiers
7,70€, 43 pages, 2003

Pièce créée le 11 Septembre 2003 au Théâtre du Rond-Point à Paris
Coup de théâtre Médée au fil des siècles

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