Eh oui, tout se serait passé autrement si Superman m’avait dit d’aller chercher un hamburger.
Il sème ses mots comme des graines de souvenirs. Ceux que l’enfance lui a offerts: une mère débordée par la vie, dépassée par ses amours bancales, une passion obsessionnelle pour les hamburgers, des journées de pêche avec un vieux barbu que tout le monde prend pour un monstre, des matins à regarder passer les cercueils avec plus de curiosité que de chagrin devant la maison des voisins croque-morts, une escapade dans un verger où l’insouciance a l’odeur de la pomme trop mûre. Ce narrateur raconte cette mémoire qui échappe au temps, ces instants légers qui cèdent souvent leur place aux douleurs trop vives qu’on étoufferait volontiers.
D’où je suis assis, en ce premier août 1979, je colle mon oreille au passé comme si c’était le mur d’une maison qui n’est plus , les ruines d’un temps révolu. Un endroit d’où s’enfuiraient des bribes éparses, fissures de la mémoire d’un homme seul face à sa vie, face au reflet de sa jeunesse.
Dès l’incipit, l’on comprend que ce qui sera raconté ne sera que circonvolutions pour livrer page après page les clés d’un souvenir traumatisant et de l’empreinte qu’il vous laisse, d’autant plus douloureuse et tenace qu’elle est invisible. Détours narratifs, dialogues légèrement absurdes sans toutefois être gratuits ou abscons: le cheminement mémoriel sous la plume de Brautigan est une poésie âpre et lyrique qui transcrit les méandres du souvenir d’une étonnante manière.
J’ai toujours aimé les vieux et je passais alors le plus long temps possible en leur compagnie. Ils exerçaient sur moi la même fascination que les araignées, pour lesquelles j’éprouvais également une grande affection.
Nous sommes assurément des êtres faits de souvenirs plus ou moins heureux. Des bribes d’enfances, des tourments d’un passé qui nous forge avec son lot de violence, de carapaces fissurées, de grands bonheurs qui nous tiennent à flot. Pour le narrateur de ces Mémoires sauvés du vent, le souvenir est poussière qui vole avec légèreté et qu’il faut saisir pour ne pas les céder définitivement à l’oubli.
Le chant des merles est semblable à des points d’exclamation mélancoliques tapés à la machine une soirée d’été.
Une première rencontre marquante avec un des ces clochards célestes de la Beat Generation qui annonce inévitablement d’autres lectures… Brautigan donne à son récit la couleur d’une Amérique de petites gens sous une plume sensible et poétique dont la tendresse n’échappe ni aux ombres, ni à la lumière. Et c’est incroyablement beau de tendre l’oreille et de laisser cet écrivain-là nous enrober de sa verve nostalgique.
J’attends, tout simplement, et c’est une façon d’attendre qui vaut bien n’importe qu’elle autre façon d’attendre si l’on considère, selon toute attente, que toute les attentes se valent.
Et une destination « classique littéraire » de plus en commun avec Fanny qui s’offre un grand conteur d’Amérique.
Good morning England / Good morning America !
- Lundi, j’étais en Angleterre et je gambadais joyeusement dans les plaines vallonnées de Watership Down de Richard Adams
- Mardi, je traînais sous le soleil brûlant des routes californiennes dans les pas de Fanny avec Des Souris et des hommes de Steinbeck.
- Hier, je prolongeais mon séjour américain et je m’invitais dans le petit quartier résidentiel d’Henry avec Mon Chien Stupide de Fante.
- Aujourd’hui, je m’assois au bord d’un lac pour écouter le souffle léger de l’Amérique avec ces Mémoires sauvés du vent de Brautigan.
◊ BO des pages tournées: Bang Bang – Nancy Sinatra
◊ Un roman très court qui a fait écho (plus thématique que stylistique) à cette lecture: Baby spot – Isabel Alba
Mémoires sauvés du vent Texte de Richard Brautigan Traduit de l’anglais (USA) par Marc Chenetier Éditions 10/18 ISBN: 978-2264038555 168 pages, 1982 Les classiques c’est fantastique – Littérature américaine |
J’ai entendu ce nom pour la première fois de la bouche d’Eric Plamondon, auteur québécois qui a écrit sur lui (dans Mayonnaise, édité chez le Quartanier). J’ignorais alors tout de cet auteur et je me suis promis de le découvrir un jour. C’est assez chouette de le trouver ici, ça me pousse encore plus à le lire.
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Oh mais tu m’intéresses avec ce titre… Je vais rechercher ça… Et continuer sans aucun doute de lire Brautigan. (Dit-elle avec sa trilogie de Plamandon qu’elle n’a toujours pas lue!)
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La trilogie 1984? Justement Mayonnaise est repris dedans 😉
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Ouiiiii ! Retrouvée hier en fouillant dans mes bibliothèques ! Tu te doutes qu’il me tarde de la lire désormais !
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Je me dis que je ne connais pas cet auteur et que ton billet est tentateur mais j’ai trop de retard dans mes lectures et encore plus dans mes billets même confinée la vie va trop vite pour moi!
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Ah ça, je ne suis on ne peut plus d’accord avec toi ! Tu sais qu’il existe, l’occasion finira je l’espère par se présenter !
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Inconnu au bataillon ! Mais beat generation, ça me parle. Et ce que tu dis de ce roman encore davantage. Je vais noter ce titre.
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Je crois – enfin non, je suis persuadée – que d’autres Brautigan seront sur mon chemin. J’ai vraiment aimé cette semaine USA/ UK. Que de lectures « tremplin » vers d’autres titres et de plumes encore trop méconnus pour moi…
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Un auteur dont j’aime la plume toujours juste.
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J’ai croisé le nom de cet auteur plusieurs fois mais j’ignore tout de lui. Ton billet donne envie d’aller à la rencontre de sa plume.
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Je suis allée tardivement à sa rencontre à vrai dire. Et je ne le regrette pas!
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Très jolie chronique. J’ai découvert Brautigan avec ce titre, et je l’ai peu relu depuis… C’est un tort, car il a une écriture enchanteresse..
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Merci beaucoup. C’était aussi mon premier et j’en ai deux autres en tête qui finiront assez vite entre mes mains. J’avoue être comme toi, particulièrement sensible à cette plume.
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Ce rendez-vous a réveillé mon envie de me faire une cure d’écrivains américains, et j’ai hâte de découvrir ce Brautigan !
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Même envie ici ! Ma PAL USA/UK reste bien près de moi. Je vais clairement lui consacrer du temps !
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