Ici, ça roule, ça envahit les grands espaces et ça file là où l’on doit retrouver quelqu’un, déposer un autre, acheminer les livraisons des fournisseurs. Et durant ce va-et-vient, on prend parfois le temps de s’arrêter. Pour souffler, déjeuner, prendre l’air, fouler le petit coin d’herbe piétiné par les gens de passage, boire un café sans saveur, dévorer sur le pouce un cornet de frites arrosées de ketchup, faire sautiller son insouciance et son estomac sur un château un peu dégonflé. C’est à ça que servent les aires d’autoroutes. Offrir une parenthèse sur une interminable ligne droite. Aires où l’on se croise. Où l’on se quitte. D’où l’on s’échappe. D’où l’on se libère. Où l’on compte le temps qui passe et le temps qu’il reste.
Aussi trompeuses que puissent être les apparences, c’est à elles que l’on se fie. Tout se joue là, dans la représentation. L’emballage.
Quand la route reprend, nous prenons place dans ces bagnoles qui s’enorgueillissent de devenir titres des chapitres du roman, leur pedigree affiché comme une vitrine sociale. Dis-moi ce que tu conduis, je te dirai qui tu es. Voiture rutilante pour femme de pouvoir, camion proportionnel à la solitude qu’il renferme, petit Kangoo au compteur bien avancé pour cœur anesthésié et cabossé. Une fois la portière refermée, nous pénétrons dans les pensées des personnages ou assistons à leurs échanges, leurs joutes langagières, leurs silences de guerres lasses. Et dans ce chassé-croisé autoroutier qui prend le lecteur à témoin, l’on se laisser bercer par ces soliloques de derrière le pare-brise qui trouvent pour seul écho les ondes radiophoniques qui ne ne disent rien de beau sur notre monde en perdition.
Cette insouciance, cette légèreté, elles nous ont été données, à tous, au départ. Cela s’appelle l’enfance. […] Nous perdons cela. Avec les années vient la conscience, et avec la conscience vient le poids. Tout devient plus lourd, plus pesant. Tout écrase.
Anatomie des souvenirs, autopsie des pensées qui filent à vive allure et nous échappent: les panneaux directionnels mènent l’un après l’autre vers ces lieux qui nous rassemblent ou marquent les distances et les frontières entre nous. Lignes blanches pour filer droit, pointillés pour vies en suspens, voies de décélération qui flirtent avec nos doutes, bande d’arrêt d’urgence comme unique ligne de fuite. Choisir la voie, la bonne, tout en sachant qu’aucune marche arrière n’est envisageable.
Le nouveau roman de Malte montre une fois de plus son absolue maîtrise de la narration. S’il peut se montrer déstabilisant – tant il affectionne les digressions incongrues – il faut toujours garder à l’esprit combien ses chemins de traverse n’ont jamais rien d’anodin ou gratuit. En plus de nous livrer une série de portraits criants de réalisme – et à la puissance suggestive indéniable – il joue sur les mots et avec les mots. Il dénonce, déplore, soumet ce petit monde à notre regard et notre jugement. Ce roman est un véritable pot-pourri qui mélange les genres, qui fait se confronter des personnages qui ne sont pas faits pour se croiser, qui font tout pour se fuir, qui feraient mieux de s’éviter. Carnets, poèmes, récits, dialogues: grâce à la richesse vertigineuse du récit, tout s’entremêle, le temps d’un trajet pour ces conducteurs parallèles.
On subit la perte et il faut encore qu’on en subisse le souvenir. C’est là, au fond de nous, telle une écharde plantée sous la peau qu’on n’a pas su retirer. C’est une douleur lancinante, au long cours, à laquelle s’ajoute de temps à autre de plus brèves et de plus vives piqûres de rappel.
Après l’immense roman Le Garçon, retrouver la plume de Malte a tout d’un rendez-vous qu’on ne voudrait manquer pour rien au monde. Et pour ne rien vous cacher, ces retrouvailles ont très mal commencé. Après un chapitre obscur (qui finira par trouver des éclairages) dans une novlangue déstabilisante, j’ai bien cru que je n’atteindrai jamais les cinquante premières pages. Et puis arrive l’histoire de Roland et Rolande, qui se mêle à celle d’autres personnages inextricablement liés les uns aux autres. Tous ces chapitres s’articulent alors pour lever le voile sur ce qui les unit au cœur de ces pages à l’odeur d’asphalte.
Ce qui nous a démolis, c’est les enfants. Il faut être lucide. Avant toute autre chose, ce qui nous a brisés, c’est ça. Les enfants que nous voulions et que nous n’avons pas eus. Qu’avons-nous fait de notre amour, de notre enthousiasme et de notre joie? Rien. On les a laissés de côté On les a oubliés dans un coin.
Lisez Aires. Laissez le temps à ce roman de vous apprivoiser. (Et réciproquement) Acceptez de fléchir face à certaines digressions qui trouvent à chaque fois leur raison d’être, aussi étonnantes soient-elles. Régalez-vous du cynisme et de l’ironie grinçante de ces slogans publicitaires qui envahissent les ondes. Ouvrez (un peu plus) les yeux sur ce monde qui est le nôtre et qui veut toujours aller plus vite et dévorer la vie dans son immédiateté. Indignez-vous de l’indécence des puissants et tendez l’oreille vers ces voix qu’il vous sera si difficile de quitter.
Écrire, c’est peut-être juste traquer la beauté, traquer la laideur, et les sublimer. Attraper l’autre par le cou et l’embrasser à pleine bouche et lui souffler à l’intérieur toute cette beauté, toute cette laideur, les lèvres collées aux siennes pour qu’il n’en perde rien, pas une miette, pas une étincelle. Tout en douceur et tout en fureur.
BO des pages tournées: Couper les virages – Alex Beaupain.
Aires – Marcus Malte
Éditions Zulma
24 € / 496 pages/ Janvier 2020
ISBN: 978-2-84304-931-6
Je pense le commencer dans les prochains jours, ce sera une première entre moi et Malte. Je retiens ton bémol pour les 50 premières pages 😉
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J’ai grossièrement arrondi si ça peut te rassurer. C’est particulier et je sais qu’il risque de faire grincer quelques dents. Mais j’en ressors encore une fois conquise.
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Quel joli billet ! Je ne sais pas trop si j’en ai envie, d’un côté il y a Malte ❤️ c’est sûr, de l’autre côté une excentricité qui ne me parle pas pour l’instant.
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J’avais aimé Le garçon, une écriture exigeante mais elle en vaut le coup….. 🙂
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Exactement ! C’est tout à fait l’idée !
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Le Garçon m’a envoutée et j’en garde un souvenir de lecture très fort. Depuis, je n’ai plus rien lu de lui. Le retrouver me plairait et je passerai, je l’espère, le cap des 50 premières pages 🙂
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Comme je le disais, j’ai arrondi pour les 50 pages. Mais il faut trouver sa place et son rythme. Être dans de bonnes dispositions en somme.
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j’aime bcp ce qu’il écrit en général, je vais m’accrocher alors :)!
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Il le faut ! C’est un roman (et une plume) qui valent bien des efforts !
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Je retiens qu’il faut faire l’effort de lire le début avant de juger ce livre , je vais commencer par le garçon que je ne n’ai pas encore lu.
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Le Garçon demande aussi un certain effort. Ce sont des lectures exigeantes. Mais elles désarment autant qu’elles peuvent séduire.
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Tout à fait en phase avec ton avis ! 😉
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Alors autant te dire que tu m’en vois ravie. (Je n’ai pas trouvé ta chronique en revanche.)
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Je n’ai rien écrit… Lu au début du confinement, j’arrivais bien à lire, moins à écrire, maintenant, c’est le contraire !
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Je l’ai dans ma liseuse, j’ai regardé le début, et l’ai refermée. J’attends le bon moment, je sais qu’il va falloir que je passe le cap des premières pages… Mais j’aime tellement cet auteur, que je vais faire l’effort, un jour.
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Il le faut. Marcus Malte mérite qu’on prenne son temps pour ses romans. D’ailleurs, je vais vite en relire un, dès la réouverture des librairies.
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C’est officiel que je vais le lire! Mais je me le garde pour un moment où j’aurai un cerveau complet pour bien profiter!
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Je crois que c’est une sage décision !
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Je l’ai lu, pas encore chroniqué mais cela viendra. Et j’ai enfin compris pourquoi j’ai abandonne Le garçon. Je suis moins dithyrambique que toi sur ce roman. Bises
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Si tu n’as pas aimé le garçon, je comprends absolument que tu n’aies pas adhéré à ce titre. Même s’ils n’ont rien à voir, on y retrouve cette narration si singulière de Malte et j’entends que cela puisse ne pas convaincre.
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Un auteur que je trouve toujours très juste.
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Absolument. Dans son cynisme et son regard sur le monde.
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Il me tente tellement, vivement que ma librairie rouvre 😉
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Toi aussi tu t’impatientes? ^^
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Superbe chronique ♥️
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Merci beaucoup ❤
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Après Le garçon, je ne pouvais que l’acheter. Je vais essayer de programmer sa lecture ce mois-ci
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Cela n’a rien à voir avec Le Garçon. Et tant mieux à vrai dire. Je suis curieuse d’avoir ton avis.
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Merci pour l’avertissement : c’est toujours bon de savoir qu’en cas de « difficultés » dans les premières pages, les choses « s’arrangent » pour le meilleur par la suite. Ça évite de passer à côté d’une lecture marquante.
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Je pense qu’une fois qu’on trouve son rythme avec tous les personnages, cela devient nettement plus simple… C’est le principe du « récit choral ». Le plus déstabilisant restant les digressions.
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Je n’ai pas encore découvert la plume de Marcus Malte. « Le garçon » dort depuis trop longtemps dans ma PAL, tu me donnes envie de l’en sortir 🙂
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