Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·O.L.N.I·Que jeunesse se fasse...

L’Estrange Malaventure de Mirella – Flore Vesco

Soyez sages et pieux, et jamais vous ne poserez les pieds sur les pavés brûlants qui mènent aux portes du Diable. L’enfer est réservé aux meurtriers, aux voleurs, aux assassins et aux femmes caractérielles.

Difficile d’être une jeune fille quand on a quinze ans et que l’on grandit à une époque à laquelle vous n’avez pas vraiment voix au chapitre. Déjà se battre. Déjà tout faire pour s’affirmer et se faire entendre. Mirella est porteuse d’eau, corvéable à merci. Adolescente aux cheveux de feu, ses courbes s’arrondissent et c’est un rituel quotidien pour elle que de masquer sa féminité florissante. Vêtements amples, poitrine naissante dissimulée par des bandes de tissu serrées, il faut cacher ce corps que de féroces appétits pourraient trop ardemment désirer, que des mains volages et baladeuses pourraient vouloir frôler. Beauté masquée aux yeux de tous, elle arpente les rues d’Hamelin pour y exercer son dur labeur avec méfiance et abnégation.

– Urbs pestilentia aflicta est.
Comme nul dans la foule ne réagissait, le bourgmestre traduisit: il se dit que la peste est dans la ville. Sitôt, le mot déclencha un murmure épeuré.

Un jour, la sérénité du village perd de sa superbe. Des petits rongeurs viennent élire domicile dans les recoins des chaumières, dans les greniers gorgés de vivres. Ces hôtes indésirables ne viennent pas seuls puisqu’une invitée de marque impose, impartiale, sa loi sans appel. La Peste est à Hamelin et s’attaque sans pitié aux habitants du village. Mirella, aux premières loges de ce funeste spectacle, comprend vite que ses yeux ont une longueur d’avance sur les autres. Personnifiée, la Peste a un visage pour qui veut bien le voir. Et il semblerait que Mirella ait ce curieux privilège. Chassé-croisé, course poursuite et jeu de chat et de souris rat, la valse avec la Peste se fera sans conteste sur un air de flûte.

Soudain, tout était clair. La sorcière avait causé ce mal et l’étranger les en avait débarrassés. Les habitants d’Hamelin aimaient les vérités simples. Il leur semblait fort naturel que leurs malheurs proviennent d’une gueuse, et qu’un homme soit leur sauveur.

Hamelin. Cette ville indissociable d’une invasion de rat pestiférés et de son si tristement célèbre joueur de flûte. Cette histoire-là se transmet de génération en génération, tel est le destin des contes. Néanmoins Flore Vesco choisit de revisiter cette histoire avec un ton léger teinté d’une ironie grinçante pour nous la faire découvrir sous un autre jour. Dans cet exercice – la parodie, la réécriture ou le détournement des canons est une chose courante en littérature –  l’autrice  redonne à cette histoire pleine de poussière une dimension inédite et absolument captivante, portée par une héroïne au caractère bien trempé et au courage qui force le respect.

Dans cette ville où les morts tombaient comme des mouches, où la peur avait fermé les auvents et paralysé les habitants, la chanson de Mirella souleva une petite bise follette et libératrice.

Malgré les siècles qui nous séparent de cette époque, le récit nous plonge de manière immédiate dans les rues pavées de Hamelin. Cris, odeurs, effervescence d’un petit bourg médiéval, rumeurs chuchotées, regards indiscrets… Ici tout se sait ou finit par se savoir.  Et si les personnages n’échappent évidemment pas à certains stéréotypes du conte traditionnel, Flore Vesco sait aussi donner à certaines situations un écho tout à fait moderne sur des questions au cœur de combats sociétaux toujours très actuels.  Elle invite également à regarder avec beaucoup plus de considération ces héros oubliés, ces personnages exclus, souvent laissés à la marge. (Quels beaux personnages que  le fossoyeur et la Reine des lépreux…)

Gaston visitait la ville évaluant l’ampleur de la tragédie. Hamelin sombrait doucement dans le chaos. L’apprenti fossoyeur n’avait plus le temps de collecter tous les corps.

Une immersion totale dans un passé qui nous est habituellement conté dans les livres d’Histoire et dont la réussite doit assurément tout à l’ingéniosité et à la plume de Flore Vesco qui s’empare de la langue médiévale avec une aisance presque déconcertante tant la lecture paraît fluide au bout de quelques pages. On touche là à une véritable prouesse littéraire qui rend ce texte unique dans le paysage littéraire actuel… (Une surprise des plus agréables quand on sait que je n’avais pas spécialement envie de me plonger dans ces lignes-là…)

L’Estrange Malaventure de Mirella a obtenu le Prix Vendredi 2019 (Le Goncourt jeunesse, rien que ça.)

L’Estrange Malaventure de Mirella – Flore Vesco

École des loisirs

Collection Médium

220 pages / 15,50€

ISBN: 9782211301558

25 réflexions au sujet de « L’Estrange Malaventure de Mirella – Flore Vesco »

  1. Vu l’an dernier à un salon littéraire, mais ce n’est pas ce titre que j’ai fait dédicacer à l’autrice… Tu en parles très bien, mais je ne suis pas sûre que la langue médiévale plairait aux élèves…

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    1. C’est une vraie question que tu soulèves ici. Je vais tester ça dès la rentrée en dénichant des lecteurs-test parce que cela m’intrigue beaucoup ! Et je tenterai aussi à plus grande échelle avec des extraits. (Moka, éleveuse d’élèves-souris-de-labo-littéraire)

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