Et mon coeur fait boum·L'Art du récit

Lambeaux- Charles Juliet

Ta hantise est de mourir sans avoir vécu, sans avoir pu apaiser ta soif, sans avoir rencontré ce que tu ne saurais dire mais qui te fait si douloureusement défaut.

La première est une femme meurtrie, peut-être autant de fois qu’elle a été contrainte de se taire et de contenir en elle la colère et la peur d’un monde traditionnel, elle la jeune fille résolument moderne. Elle est celle qui a aimé, follement, celle qui a perdu l’amour comme on vous arrache une part de vous que vous ne retrouverez plus jamais. Celle qui a grandi avec le cœur en miettes et l’esprit épris de mots qui se cachaient sur des pages à noircir.

Ce qui fermente en toi et qui frappe à la porte de ta conscience, tu dois le refouler, et cette vie perdue, tu la ressens comme une grave et douloureuse mutilation.

La deuxième est une femme de substitution qui pourtant jouera le premier rôle dans la vie de ce jeune homme qui décidera un jour d’écrire Lambeaux, et de dire pourquoi cette démarche fut salvatrice. Pour lui, pour elles.

Prendre la plume et raconter. L’éternelle rengaine de l’écrivain. Prendre la plume et les raconter. Le défi lancé à la vie, à l’absente, à l’époque révolue qui a broyé sans complaisance ceux qui se sentaient trop seuls pour être heureux et trop mal entourés pour construire un vrai bonheur.

Ta soif de vivre et ta soif d’apprendre. Toutes deux violentes, insatiables.

Raconter la mère, les mères. Et s’évoquer inévitablement. À travers ou entre les lignes. Mais pour mieux donner corps à ce tourbillon littéraire, Charles Juliet emploie ce tu. Un tu chéri, malmené, étouffé, murmuré. Un tu qui donne une force furieusement insolente à la lecture et qui parle de l’autre en te laissant aussi quelques griffes. Alors tu l’aimes ce livre, tu te sens tellement impliquée dans cette histoire que tu peines à le reposer tant l’osmose se crée. Tu cornes les pages, tu relis, tu te dis qu’il y a tant dans si peu de pages. Tu te laisses enrober de beauté, tu te laisses prendre au jeu des pages qui te rappellent combien tu aimes la littérature pour ce qu’elle dit des autres mais révèle aussi de toi.

Tu songes de temps à autre à Lambeaux. Tu as la vague idée qu’en l’écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu’elles ont toujours tu. Lorsqu’elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s’avancer à leur suite la cohorte des bâillonnées, des mutiques, des exilés des mots…
ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance…
ceux et celles qui s’acharnent à se punir de n’avoir jamais été aimés…
ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr…
ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’il n’ont jamais été écoutés…
ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte…
ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge…
ceux et celles qui n’ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse …

Chroniques passionnées de Fanny, de Vincent le Petit Poucet semeur de mots, et d’Amandine sans qui ce livre n’aurait peut-être pas croisé ma route aussi rapidement… Merci mille fois pour ce présent déposé dans la boîte aux lettres de la rue St S. ♥

Lambeaux- Charles Juliet

Folio

160 pages / 6,80€

ISBN:9782070400867

13 réflexions au sujet de « Lambeaux- Charles Juliet »

  1. J’ai cru qu’il s’agissait du « lambeau » de Philippe Lançon et j’ai commencé la lecture en me disant mais moi je n’ai rien vu de tout ça… pour le coup j’ai relu attentivement et je me dis que ce livre doit être passionnant.

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  2. Je n’ai pas lu celui-ci, mais j’en ai lu bien d’autres, dont ses journaux qu’il faudrait que tu découvres. Il est unique dans le paysage littéraire et son écriture est toujours juste et forte.

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  3. Un livre qui m’a profondément marquée quand je l’ai lu il y a des années. Ainsi que tout ce qu’a écrit Charles Juliet d’ailleurs. Il a une place d’honneur dans ma bibliothèque.
    BONHEUR DU JOUR (obligée de passer par facebook pour commenter sur les blogs wordpress sans que je comprenne pourquoi).

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