Ce jour-là, le temps est à la fête. Clothilde et Paulo trinquent, les corps dansent avec l’insouciance des soirs festifs, les gens rient à gorgent déployée, et les guirlandes lumineuses donnent à ce mariage une douceur sans pareille. Mais dans ce décor digne des plus beaux étés indiens, le prédateur s’approche insidieusement de sa proie. Non loin de l’euphorie ambiante, à l’abri des regard, le jeune Freddy subira le pire. Violé par un membre de la famille des mariés, il n’aura que la honte pour étouffer sa douleur et noyer son traumatisme. L’histoire se répètera. Inévitablement puisque le monstre hors de sa tanière n’en est assurément pas à son premier crime.
Pour raconter l’horreur et l’abject, Sandrine Revel et Théa Rojzman font appel à un récit hybride entre le conte et la dystopie. L’histoire se déroule sur une île qui ressemblerait à s’y méprendre à un environnement qui nous semble familier. Les autrices marquent néanmoins une distance avec notre société par le biais d’une narration faite de symboles et de métaphores. Ainsi, le silence qui règne et impose sa loi, le silence qui gagne et écrase la parole à libérer devient une usine qui surplombe l’île et qui se nourrit des terreurs et des crimes tus par les victimes. Véritable cocotte minute, ce lieu sordide ne peut qu’imploser. Reste à trouver la bonne allumette, l’étincelle libératrice, le moment propice, l’incident salvateur qui pourra révéler au monde la sombre vérité qu’il cache depuis si longtemps.
Comme il est complexe de trouver le bon ton et les mots justes pour aborder un sujet aussi délicat et tabou que les violences sexuelles infantiles. Avec beaucoup de tact et un talent certain pour l’art du conte, Sandrine Revel et Théa Rojzman parviennent à écrire sur l’inceste sous une plume et des crayons qui ne craignent pas de dire le pire. Ainsi, l’innocence perdue devient un corps qui se brise comme un puzzle impossible à reconstituer, les bulles se vident, faute de mots pour exprimer le mal qui prend le pas sur tout le reste. Elles se gorgent d’un langage hybride, impossible à déchiffrer tant que les mots peinent à être trouvés. Le dessin quant à lui, n’est pas avare de symboles puisque les victimes et les coupables vont progressivement se révéler au monde en s’enrobant de couleurs qui les désignent: en rouge, les monstres, en bleu les proies. (Et ce violet qui s’invite dans la palette et qui souligne les rouages complexes d’un sujet de cet acabit) Une dichotomie colorée qui n’est pas sans rappeler le conte Peau d’âne adapté par Jacques Demy.
Si cet album fait la part belle aux métaphores, à aucun moment l’implicite ne vient troubler le message qui demeure clair à tout moment: parler, briser coûte que coûte – et quoi qu’il en coûte – le pouvoir de ceux qui imposent le silence, faire taire la culpabilité et la honte. À l’heure où l’actualité ne cesse de mettre en avant la nécessité de dire, l’impérieux besoin de libérer les paroles sclérosées, empêchées, cet album est une pierre supplémentaire à l’édifice, un pas de plus vers l’extériorisation de maux souvent relégués à un silence bien trop éloquent.
Prolongements livresques:
Pourquoi j’ai tué Pierre – Alfred et Olivier Ka
Peau d’âne – Cécile Roumiguière & Alessandra Maria
Le Consentement – Vanessa Springora
La Familia grande – Camille Kouchner
Grand Silence écrit par Théa Rojzman, illustré et mis en couleur par Sandrine Revel Éditions Glénat 23€ / 128 pages / 2021 La BD de la semaine / 9e Art |

Le genre de BD nécessaire !
J’aimeAimé par 1 personne
Terrible réalité je ne crois pas que je lirai cette BD mais je suis contente que l’on parle de ce sujet . Il faut absolument que la loi du silence soit brisée.
J’aimeAimé par 1 personne
ça a l’air plutôt bien fait!
J’aimeAimé par 1 personne
Un sujet difficile qui a l’air d’être bien traité dans cette BD ! j’adore les dessins
Merci pour la découverte !
J’aimeAimé par 1 personne
ça a l’air très fort !
J’aimeAimé par 1 personne
cet album à l’ai super, mais le sujet est trop dur pour moi. Je n’ai d’ailleurs jamais réussi à venir à bout de Pourquoi j’ai tué Pierre que tu cite en prolongement de cette lecture
J’aimeAimé par 1 personne
Je la veux !!!! Absolument tout me plait: le sujet , le graphisme …
J’aimeAimé par 1 personne
Le titre, la couv, le graphisme, la force du sujet…. infiniment tentée…
J’aimeAimé par 1 personne
Evidemment, je suis tentée, c’est un des sujets qui me met le plus en colère.
(J’ai d’ailleurs écouté, mais pas terminé, le podcast « Ou peut-être une nuit » d »Injustice (Louie Media) qui évoque l’inceste)
J’aimeAimé par 1 personne
(Je note la réf… Merciiii !)
J’aimeAimé par 1 personne
Il a l’air très beau. C’est vrai que c’est un thème qui n’est pas facile à aborder, et là ça a l’air bien fait.
J’aimeAimé par 1 personne
Je trouve ça plutôt bienvenu ces multiples niveaux de lecture…
J’aimeJ’aime
Pour son sujet, une lecture essentielle qui me tente forcément.
J’aimeAimé par 1 personne
Il faut oser se lancer. Cela me parait important.
J’aimeAimé par 1 personne
Un album que je lirai, même si je sais déjà que j’en sortirai remuée.
Pour compléter ta biographie sur le sujet, je te recommande « Le jour où je suis mort, et les suivants »; « La porte de la salle de bains », tous deux de Sandrine Beau
J’aimeAimé par 1 personne
Parmi ces titres que tu suggères, j’ai le premier sur ma PAL. Je vais je pense vite y venir. Nécessaire. Remuant. Évidemment. Mais il faut aussi apprendre à se frotter à ces textes-là.
J’aimeJ’aime