Gouzgouze. Cela n’a l’air de rien ce petit mot d’enfant. Cela donnerait presque le sourire rien qu’en le prononçant. Et puis, ça chatouille alors c’est doux et drôle à la fois sur la peau.
Sauf que les doigts qui glissent d’abord dans le dos ou sur les bras pour mieux s’emparer du corps sont ceux du beau-père de Lily. Sauf que Lily a huit ans quand il instaure ces jeux qui portent si mal leur nom.
Tout pourrait être dit avec ces quelques phrases. L’inceste dans toute sa perversité et son horreur.
Mon corps est à moi. Pourquoi Mondjo dit toujours que je suis à lui ?
Claire Castillon signe ici un texte aussi subtilement et pudiquement écrit que le sujet est immonde. Elle trouve l’angle et le ton parfaits pour écrire sur les violences sexuelles intrafamiliales à destination des adolescent·es. Et c’est avec une simplicité déconcertante de vérité, sans détour, sans ambiguïté ni métaphore qu’elle s’immisce dans l’enfer de cette intimité-là. Lentement, au fil des pages et des années s’installe un mécanisme odieux de manipulation et se construisent les rouages de l’emprise au cœur du foyer qui se devrait d’être protecteur.
Je n’ai la liberté de rien, même pas celle de m’enfuir.
En tournant ces pages, l’on découvre ce qui se dit derrière les portes closes, ce qui se devine dans les regards qui dévorent. On se retrouve témoins des mots qui manipulent, des gestes qui stoppent à tout jamais l’enfance dans ce qu’elle a de plus précieux. L’on perçoit, aussi, sous l’acuité d’une plume qui saisit et décrit l’abject, le mécanisme insidieux du prédateur insoupçonné. Celui qui, alors que la plus grande confiance lui est accordée, s’autorise le crime le plus impardonnable, le plus intolérable.
Quand l’amour a fini de donner les joues rouges, il donne les joues blanches, et les filles deviennent des fantômes.
Ce roman doit être une alerte, une clé de lecture, une porte entrouverte, une issue de secours. Il doit être lu, il doit être confié, il doit envahir les étagères, les CDI et les bibliothèques. Il doit provoquer l’échange, le dialogue. Parce qu’il aura peut-être le pouvoir fou et précieux que la littérature et la fiction revendiquent; celui de pouvoir dire le monde dans toute sa noirceur, celui de poser les mots justes, les mots déclics, les mots qui font mouche et libèrent ceux jusqu’alors tus. Un roman n’est malgré tout pas dépourvu de lumière au-delà du sujet on ne peut plus plombant. Et il en faut bien du talent pour parvenir à un nous livrer un texte de cet acabit, aussi brillant qu’indispensable.
BO des pages tournées: Notre homme – Albin de la Simone
Prolongements et échos
- Les Chatouilles – ou la danse de la colère – Andréa Bescond
- Le Consentement – Vanessa Springora
- Je serai vivante – Nastasia Rugani
- Plus jamais petite – Séverine Vidal
- La porte de la salle de bain – Sandrine Beau
- Grand silence – Sandrine Revel & Théa Rojzman
- Peau d’âne – Cécile Roumiguière & Alessandra Maria
Les longueurs – Claire Castillon Et cette parfaite couverture dessinée par la brillante Marion Fayolle Éditions Gallimard – Collection Scipto 10,50€ / 192 pages / 2022 Prix Vendredi 2022 Roman / Littérature adolescente / Et mon cœur fait boom |
Ce genre de récit qui me glace…
Et puis si c’est écrit par Claire Castillon…
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Et comment ! C’est fait avec une pudeur incroyable. C’est hyper intelligent. Je la lirai encore.
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Si c’est ton 1er de cette autrice, je te conseille ses nouvelles ( lues il y a un siècle mais elles m’ont marquée durablement)
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Le sujet est difficile mais ce roman semble à lire !
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ce sujet me bouleverse tellement !
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Il faut bien admettre qu’il est un des pires sujets qui soit à aborder.
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J’aime beaucoup Claire Castillon mais je n’ai pas encore lu de roman jeunesse d’elle. Il semble qu’elle maîtrise aussi, à te lire…
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Ouah la la ! Je note cette lecture, merci beaucoup pour ta chronique !! En plus le livre est dispo en bibli, et j’aimerais me remettre aux lectures pour ado !
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Eh bien ce livre semble avoir eu l’effet d’une claque percutante et glaçante. Je note merci pour la découverte.
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Avec un tel sujet, difficile d’en être autrement. Je t’en prie. Merci d’être passée par ici.
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