L'Art du Roman·Que jeunesse se fasse...

Comme des sauvages – Vincent Villeminot

« Celui qui pénètre dans cette partie de la forêt ne reviendra jamais en arrière. Jamais. » Au fond, cela sonnait davantage comme une promesse que comme une menace.

Parti avec sa sœur avec laquelle bien des liens sont encore à construire, Tom ne se fait guère d’illusions sur ce voyage estival en Ardèche. Cette parenthèse au cœur de la nature leur apportera probablement la bouffée d’oxygène attendue au regard de la morosité qui a gagné leur famille. Des parents qui divorcent, cela n’arrive assurément pas qu’aux autres. Entre ennui et scepticisme, les vacances renvoient Tom à sa solitude et son goût pour la nature le sauve des journées oisives et frivoles de la bande avec laquelle il cohabite.

Au fil de ses errances, Tom se retrouve face à un chemin qui semble avoir disparu des cartes. Face à lui, un avertissement qui vient titiller sa curiosité. Comment ne pas avoir l’audace de céder à cette tentation-là? Comme pour bien des romans qui flirtent avec le registre fantastique, un passage s’ouvre à lui. De l’autre côté, une nature accueillante lui offre une autre vie possible, jusqu’à ce jour insoupçonnée. Une découverte qui a un prix: l’oubli.

L’être humain est ainsi : il ne peut renoncer, accepter son sort. Même pris au piège, même devant l’inéluctable défaite ou la perspective d’une mort certaine, il essaye. Il se bat. Il rue.

Comme des sauvages est un roman dans lequel la nature happe le héros et mène la danse. Elle l’attire, l’appelle, l’entraîne de son côté pour voir le monde autrement. Mais elle fixe également des règles qu’il faut savoir accepter. L’envers du décor est porteur d’espoir, de renouveau mais n’est pas exempt de quelques sérieuses déconvenues. Il faut bien admettre que la frontière entre les deux est fragile: l’on peut vite tomber de ce fil invisible suspendu entre deux mondes. N’est pas funambule qui veut…

Vincent Villeminot signe ici un roman qui ne cesse d’interroger et de mettre en tension la question de la nature humaine et la nature sauvage. Il pose les jalons d’une réflexion qui questionne nos modes de vie, notre rapport au monde. Entre les lignes, il sonde également avec une justesse incroyable la manière dont on choisit de quitter l’enfance. Et si grandir signifiait avant tout d’apprendre à accepter les abandons?

Elle ignorait jusque là qu’elle pouvait retenir la douleur, en faire de la colère.

Après ma lecture passionnée de Nous sommes l’étincelle, j’attendais de toute évidence ce titre avec impatience. Les initié·es retrouveront des échos entre les deux romans qui explorent la thématique des communautés se donnant les moyens de vivre hors du monde, loin de nos vies folles/fades et mécaniques. L’idée d’un retour à la nature et de ce qu’en font les Hommes est prégnante et la manière de traiter le sujet peut se révéler glaçante.

C’est assurément cette plume pleine de surprise, sans ménagement que j’aime retrouver chez Villeminot. À l’instar des héros face au chemin de traverse, lecteurs et lectrices s’engouffrent dans son roman et peinent à le reposer. On fuit, on se cache, se sent épié. On retient son souffle, on accepte les renoncements. Et naît en nous, cette réflexion qui ne trouve pas toujours la plus belle des réponses: le retour à la nature nous rend-il bons, voire meilleurs? Permettez-moi d’en douter. D’autant plus quand le sauvage n’est pas toujours celui que l’on croit.

On veut bien que quelqu’un soit malheureux, mais on ne peut accepter que ce malheur le détruise. On voudrait qu’il résilie. On le somme de le faire ou bien on le met à part, parce que son existence même nous rappelle que la nôtre pourrait s’effondrer, elle aussi, n’importe quand.

Vincent Villeminot au milieu des livres: Nous sommes l’étincelle

Comme des sauvages de Vincent Villeminot 
Éditions PKJPocket Jeunesse
18.90 € / 320 pages / 2020
Famille je t’aime, famille je te hais / Que jeunesse se fasse

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