L'Art du Roman·Rentrée littéraire

Et j’abattrai l’arrogance des tyrans – Marie-Fleur Albecker

On dit que c’est au bout de trois générations que le souvenir d’une personne normale, ou quelconque, comme vous et moi s’efface; Johanna n’était pas quelconque mais c’était une paysanne et c’était une femme, ce qui n’arrange rien à la mémoire des hommes, et elle n’a pas eu d’enfants.

Des impôts, des innocents qui trinquent, des hommes étouffés par la servitude. Dans un ras-le-bol général, quelques hommes en colère décident « d’aller chercher » le président roi et de lui exposer leurs doléances. Au milieu de cette foule et de cette fougue testostéronées, Johanna, trentenaire engagée trèèèès en avance sur son temps, en mal de justice sociale et de reconnaissance s’engage à leurs côtés pour faire part de ses revendications. Nous sommes en 1341 et autant dire que le féminisme n’est pas encore un concept très répandus sur les terres anglaises (et au-delà).

Dans le monde de Johanna, pour le moment , le Roi est encore celui qui rend la Justice. […] En attendant, elle écoute et ne dit rien. Elle sait très bien n’en penser pas moins, voire désapprouver en silence: c’est un art qu’on apprend aux petites filles dès leur plus tendre enfance.

Dans une langue et un style passablement décontracté, Marie-Fleur Albecker raconte l’Histoire avec une liberté de ton qui dépoussière assurément la production littéraire traitant de l’histoire médiévale. Derrière le ton faussement léger et l’apparente désinvolture s’écrit la vie de Johanna, jeune femme du XIVe siècle, anonyme devant la grande Histoire.

Descriptifs géographiques, détours touristiques, approche architecturale, précis de sexualité (ou l’art des femmes de supporter le va-et-vient insipide masculin), constat ironique de la place accordée aux femmes: autant de sujets évoqués avec un humour qui allie le potache, le léger et le grinçant.

Curieusement, (et pas tant que ça finalement) nombreuses sont les résonances entre la société médiévale et la nôtre. Enlevez l’armure des chevaliers, troquez les couronnes des puissants contre de parfaits costumes, voyez le périple administratif sous les quêtes longues et interminables de ces croisades politiques, délaissez la terre pour les pavés foulés. Les parallèles avec notre époque ne manquent pas pour ce texte aux niveaux de lecture pluriels.

Derrière toute cette audace et cet humour foisonnant, je n’ai pas toujours trouvé ma place… Raconter le passé sous une plume excessivement décalée qui joue sur les anachronismes, les ruptures stylistiques (du très cru prosaïque aux élégantes fulgurances ) est une démarche qui étonnera sincèrement ou déplaira franchement. J’ai parfois regretté que la narration soit court-circuitée par les digressions anecdotiques ou explicatives, me perdant parfois, de guerre lasse. En fin de compte, je crois que le propos du livre m’a bien plus parlé que la voix qui le portait, alors que c’est là même toute l’originalité de ce texte.

Un livre pour les férus d’Histoire que l’on nous conterait autrement…

Et j’abattrai l’arrogance des tyrans – Marie-Fleur Albecker

Éditions Aux Forges de Vulcain

ISBN: 9782373050424

18€/ 195 pages

24 août 2018

Rentrée littéraire août/septembre 2018

25 réflexions au sujet de « Et j’abattrai l’arrogance des tyrans – Marie-Fleur Albecker »

    1. Il m’est arrivé de sourire aussi face à ce roman dont le propos est assurément plein d’esprit. Mais j’avoue être moins bon public quand il s’agit de me confronter à des textes humoristiques. Et là, ça n’a pas toujours fonctionné sur moi. C’était parfois un peu « trop » sans atteindre je crois l’effet escompté.

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  1. En tous cas, le titre est joli… Et je comprends tes réticences, c’est très délicat de prendre le lecteur à contre-pieds en décalant le fond et la forme, et j’ai eu récemment une expérience un peu similaire avec un roman que je n’ai pas encore chroniqué. Finalement, il m’a plu, mais j’ai eu du mal au départ, l’auteur contant l’histoire de la Méduse et de son radeau en comparant ses personnages avec des acteurs du XX, et en appliquant à son texte un ton gaillard,humoristique.

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    1. C’est ce que j’y vois et interprète mais j’y ai ressenti pas mal de liens dans le rapport aux puissants, dans le mépris du peuple… Le discours sur les femmes soulève aussi de belles réflexions.

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  2. Je me suis arrêtée sur ce livre, et puis j’ai passé mon chemin…
    Tu ne m’as pas convaincue plus que cela. Je pense que, comme toi, je serais dérangée par la plume. Et puis ce titre à rallonge, au secours !

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  3. Le style « Albecker » est assurément là (recours aux anachronismes, utilisation d’un langage cru, multiples digressions de l’auteure sur la géographie de l’époque et absence de dialogues) mais j’avoue que parfois je suis restée sur le côté.

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