Le nom d’Alep résonne en nous avec ses frissons d’effroi, ses images de tristesse et de dévastation. La ville a trop souvent été l’objet de tristes unes de papier, de chroniques désemparées et le Monde apaisé n’a pas toujours su la regarder en face et la prendre à bras le corps. Alep a été fuie par les regards, incapables de soutenir l’horreur, Alep a été fuie par une partie de son peuple. Alep n’a été que cris puis silence, silence puis cris.
Au fracas de la déflagration qui a ébranlé les fenêtres de ma chambre, j’ai cessé d’écrire. Saisi, attendant une seconde explosion, j’ai quitté ma table.
Niroz Malek vit au cœur de cette ville, au milieu des décombres et des fantômes. Il est de ceux qui sont restés et il a fait le choix d’être la voix d’une ville mise à sac. Il est le promeneur d’Alep, celui qui, comme un poète désenchanté, prend la plume pour insuffler âmes et vies à une ville qui n’existe plus aux yeux des autres qu’à travers ce qu’on lui a pris dans la fureur et la sauvagerie.
Quoi de mieux que l’écriture fragmentaire pour mieux saisir toute la sensibilité d’un peuple témoin de l’éclatement de sa ville? Quoi de plus fort que l’écriture par bribes pour mieux raconter ce(ux) qui reste(nt)? Les éditions du Serpent à plumes ont fait ici un très beau choix éditorial: celui de donner la parole à un témoin immédiat du conflit, citoyen de cette capitale de la douleur.
– Tu sais que derrière moi, dans ce bureau, ce ne sont pas des livres, des bibelots et des photographies que je laisserais, mais mon âme.
– Le corps pourrait-il survivre sans âme ? ai-je poursuivi. C’est pour cela que je ne partirai pas de chez moi, car il n’y a pas de valise assez grande pour contenir mon âme.
Niroz Malek fait disparaître les frontières entre les vivants et les morts. Il raconte ce qu’on ne dit pas toujours dans les journaux, il offre aux absents – inconnus comme amis chers – quelques sursauts de vie. Il saisit avec une justesse humble et digne les instants où tout bascule, les rires qu’on s’autorise encore, l’amour qui vous transcende au-delà des horreurs. Il relate la vie qu’on arrache, qu’on entache, qu’on malmène, qu’on revendique, qu’on aime, qu’on quitte en silence ou dans les cris. La vie qui grouille dans une ville qu’on cherche à éteindre sous la mitraille. Et tout cela se fait avec des mots qui échappent aux clichés sanglants. L’horreur latente réside aussi dans l’attente inexorable. Les images qui surgissent sous cette plume servent tour à tour une infinie poésie ou un froid glaçant – en s’autorisant même quelques envolées fantastiques. Elles saisissent le lecteur qui épouse le regard d’un promeneur – plus si solitaire – en quête d’une paix qu’on attend, inlassablement.
— La plupart des connaissances et amis se sont dispersés, ce sont désormais des expatriés, des bannis, des migrants, des exilés. Et puis il y a ceux qui sont morts de toutes les manières possibles.
— Et toi ? a-t-il questionné après un long silence.
Pour toute réponse, je lui ai lancé un regard moribond.
Un très beau cadeau de Jérôme lors de notre escapade au Salon du livre de Paris l’année dernière. C’est donc assurément encore plus plaisant de partager cette lecture aujourd’hui avec lui.
Une lecture qui marque une nouvelle étape de mon tour du monde littéraire.
Le promeneur d’Alep – Niroz Malek
Traduit de l’arabe (Syrie) par Fawaz Hussain
16€ / 155 pages
ISBN 979-10-94680-19-3
Un livre qui me paraît indispensable, au moins il n’y a pas la mise à distance des medias.
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Un pays et une ville sacrifiés à la folie des hommes .
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Très beau cadeau, tu en as de la chance…
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L’image de l’écriture fragmentaire est très juste. C’est une promenade poétique mais en même temps tellement profonde. Un plaisir de partager cette lecture avec toi (et une évidence aussi ❤ ).
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Lauréat du prix du livre Lorientales en 2016
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Inspirant que cet autre regard.
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Ca fait un petit moment que je tourne autour de ce livre… merci pour cette chronique.
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Ton billet est délicieusement poétique pour restituer ce récit qui semble très fort et pertinent. Je l’ai noté depuis un bon moment dans ma PAL. Comme pour de nombreux titres, tu seras peut-être l’élément déclencheur qui me le fera enfin lire 😉
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Voyager à travers la lecture, c’est super! Surtout pour découvrir des lieux tel qu’Alep.
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Je suis sûre que c’est une écriture qui pourrait me toucher…!
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Je trouve la couverture bien attrayante…La citation représente bien ta présentation… Ce regard veut sans aucun doute tout dire…
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Voilà qui me tente énormément !
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Un récit qui m’avait terriblement touchée.
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Il y a longtemps que je n’ai rien lu de cette très bonne maison d’édition. Merci pour le conseil.
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ce fameux « Delerm sous les bombes »… très tentant !
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Depuis sa sortie il me fait de l’oeil, c’est à se demander ce que j’attends…
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Tu m’as totalement convaincue ! Une lecture qui semble nécessaire, comme une pensée que l’on adresserait aux habitants d’Alep pour leur dire que nous sommes avec eux même à des milliers de kilomètres.
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Ta chronique est vraiment belle, tu m’as donné envie de découvrir ce livre 🙂
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