Des autrices !·Il était une fois...·Que jeunesse se fasse...

De Délicieux Enfants – Flore Vesco

Et votre Perrault, il peut ranger sa plume délicate, qui s’offense de la chair et du sang. Qu’il ravale sa moralité, son désir d’éduquer les marmots et de recadrer les filles. Dans ma chanson, il y aura des larmes, de la bile, des méchancetés et des enfants crus. Ça ne vous apprendra rien du tout, qu’à trouiller. Mon récit ne sort pas d’un beau livre illustré, mais de mes boyaux: alors vous pensez bien qu’il ne fait pas joli sur le papier

Il ne fait plus bon vivre au cœur de la forêt pour Tipou et sa famille. Les estomacs crient famine et chaque jour passé est une victoire sur le désespoir et la mort qui rôdent. Comment parvenir alors, malgré les privations de plus en plus longues et douloureuses, à nourrir sept enfants qui grandissent au sein d’un foyer dans lequel la fragilité prend de plus en plus de place?

Je savais ce que cette maison contenait : un foyer éteint, une mère usée et froide, un père coléreux. Longtemps, j’avais cru que toutes les familles étaient ainsi.

Quand Flore Vesco s’empare d’une histoire, il faut s’attendre à voir le confort routinier de notre mémoire bousculé puisqu’elle se saisit des récits très codifiés qui ont marqué notre enfance. (Et autant vous dire que le prologue donne le ton.) Après D’Or et d’oreillers et sa princesse au petit pois, c’est au personnage du Petit Poucet de venir se prendre dans les mailles-mots de sa plume-filet. L’ogre et la sorcière seront évidemment de la partie mais l’autrice repousse bien loin les frontières et limites d’une simple revisite. Elle égratigne et questionne bien des représentations traditionnelles et vient secouer – façon tsunami – cette sombre histoire familiale qui faisait trembler dans les chaumières. Du noir si sombre au rouge carmin, il n’en faut pas plus pour se laisser entraîner dans un monde où le pouvoir des hommes est roi, où le corps des femmes est convoité,leur liberté doit être contrôlée.

Avant, nos histoires d’amour étaient rêvées. Des monstres forts et soyeux nous serraient dans leurs bras. Aujourd’hui, rien n’a changé. Nous rêvons encore. Et les monstres, finalement, sont moins doux que ce que nous pensions.

Une fois de plus, Flore Vesco fait de ses engagements une matière qu’elle modèle et façonne subtilement avec le matériau littéraire du conte traditionnel. Sa langue y est vivante, follement vibrante, forte d’une palette lexicale qui ne cède pas à la facilité. D’une richesse incroyable et d’une intelligence rare, sa manière de se jouer des codes et de détourner les références m’impressionne à chaque fois. L’humour s’y veut grinçant, la colère rouge sang et ce qu’elle insuffle de modernité à son récit vient s’ancrer dans nos grands questionnements sociétaux contemporains.

Mon amour quitte le lit. Comme toujours, je fais ce qui est le mieux pour nous: je ferme les yeux.

La place à accorder aux appétits voraces prend dès lors une importance fondamentale. Ceux du corps, des désirs, de l’adolescence, ceux qui mènent vers l’ailleurs ou qui permettent de retrouver une part de soi. Une manière habile – à travers un récit polyphonique captivant- de déplacer les points de vue, de changer d’angle pour mieux venir chatouiller, piquer, heurter un lectorat qui n’en finit pas d’aimer être troublé par l’autrice.

Il ne faut pas manger pour vivre mais vivre pour manger le monde.

Échos et prolongements :

De Délicieux Enfants – Flore Vesco
Couverture illustrée par Mayalen Goust
Éditions École des loisirs – Collection M+

15 € / 218 pages / 202
4
Il était une fois… / Conte revisité / Que jeunesse se fasse

 

9 réflexions au sujet de « De Délicieux Enfants – Flore Vesco »

  1. Je ne la connais pas du tout et je m’aperçois que cela manque, cruellement, à ma culture littéraire. Je suis, sans doute, passée à côté des oeuvres de l’autrice en raison de mon niveau d’enseignement: la maternelle et plus particulièrement les tout-petits et petits (3/4 ans). Je note les titres afin de les lire dès que je pourrai les emprunter.
    Merci pour le partage.

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