L'Art du récit·Les classiques c'est fantastique

La Femme abandonnée – Honoré de Balzac

Je suis trop fière pour ne pas essayer de demeurer au milieu de la Société comme un être à part, victime des lois par mon mariage, victime des hommes par mon amour.

Les lecteurs de Le Père Goriot retrouveront en ces pages le personnage de Claire de Beauséant qui – dans ce roman – tirait sa révérence en renonçant à la vie mondaine parisienne. Ayant cédé aux faveurs de son amant, le Marquis Miguel d’Ajuda-Pinto, elle arrive en province suite à sa répudiation par son époux voyant sa réputation égratignée par les gens qui font d’elle l’objet de bien des conversations dans les cercles où l’on juge vite ceux qui sortent des carcans que leur position leur impose.

Quoique la vicomtesse de Beauséant passe pour descendre de la maison de Bourgogne, vous comprenez que nous ne pouvions pas admettre ici une femme séparée de son mari. C’est de vieilles idées auxquelles nous avons encore la bêtise de tenir.

Son exil social en Normandie délie également les langues loin de Paris et attise les petites curiosités ordinaires. Au premier rang, le jeune Gaston de Nueil – en convalescence dans la région – se sent immédiatement intrigué par le destin singulier de cette femme vivant en recluse dans son château. La fougue de la jeunesse et son envie d’une passion grisante le poussent à forcer le destin provoquant une rencontre avec celle qu’il désire avant même de la connaître. De fil en aiguille, l’envie de séduire fait son œuvre et il s’éprend de cette femme qui semble lui résister, résignée à ne plus céder aux aveuglements de la passion.

Tu as trente ans et j’en ai quarante. Combien de terreurs cette différence d’âge n’inspire-t-elle pas à une femme aimante?

Cette nouvelle appartient – dans le vaste et ambitieux projet qu’est La Comédie humaine – aux scènes de la vie privée. Sans surprise, elle explore les thématiques de l’abandon amoureux – et social – en soulignant avec puissance le poids des conventions qui régissaient la société du XIXe loin d’être à une contradiction près. Les bons petits époux bourgeois pouvait ainsi fréquenter sans scrupule les bordels, mais imaginez le scandale si une femme osait céder à l’envie d’une aventure adultère…

Ce texte s’inscrit donc dans une tradition littéraire qui sait s’emparer de la passion amoureuse. On sent l’héritage pudique d’un roman de Madame Lafayette, on retrouve l’élan frénétique des grandes amoureuses des romans réputés si subversifs dès qu’il était question de les mettre entre les mains des femmes, on n’échappe pas aux clichés des lettres des amants, d’un valet témoin de leurs émois naissants et d’une jeune héritière qui met en péril les grands serments.

Je n’ai pas eu la haute vertu sociale d’appartenir à un homme que je n’aimais pas. J’ai brisé, malgré les lois, les liens du mariage: c’était un tort, un crime, ce sera tout ce que vous voudrez; mais pour moi cet état équivalait à la mort. J’ai voulu vivre.

Ainsi, le personnage de La Vicomtesse de Beauséant tient là un rôle intéressant et résolument moderne dans cette société où la norme et le rang définissent votre être. Assumant ce qu’elle est et n’est plus, son discours a assurément quelque chose de féministe avant l’heure. Elle sait se montrer aussi clairvoyante sur les relations amoureuses que sur la place des femmes dans ce monde régi par des hommes. Elle nous apparaît tantôt forte et fragile, tantôt sensible sans pour autant perdre de sa force de persuasion quand il s’agit d’affirmer ses choix à contre-courant. Un personnage qui ne cessera d’être digne, au-delà de ce que la société lui impose ou lui dérobe. Une jolie manière pour moi de retrouver Balzac que je n’avais pas lu depuis ma vaine tentative de découvrir La Peau de Chagrin.

Près d’une femme qui possède le génie de son sexe, l’ amour n’est jamais une habitude.

Deuxième lecture pour notre rendez-vous Les Classiques c’est fantastique organisé avec Fanny autour du thème « Balzac vs Flaubert ». Cette fois, Honoré vole la vedette à Gustave.

Un Balzac aussi chez Pati !

La Femme abandonnée d‘Honoré de Balzac
Éditions Gallimard, dans la collection Folio classique
2€ / pages / 1833 (2018 pour la présente édition)
Les classiques c’est fantastique – XIXe mon amour

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