Et mon coeur fait boum·Neuvième art

Animabilis – Thierry Murat

Ce n’est peut-être qu’uniquement cela, la vie… Pousser des portes.

Les flocons s’approprient lentement les paysages et l’hiver s’installe dans le Yorkshire. Victor n’est attendu de personne et traîne sa valise comme unique bagage. Le mystère qui entoure ce personnage va toutefois trouver un concurrent de taille puisque ce jeune homme arrive dans un village tourmenté. Les hommes s’inquiètent et le retour d’un chien-loup sur leur terre a tout d’un mauvais présage. Et que dire de l’angoisse qui prend une ampleur folle, faisant des corbeaux les premiers témoins de la capitulation silencieuse d’un pendu? Impassible, curieux, attentif, Victor noircit quotidiennement le papier de sa plume et consigne ce qu’il saisit ici et là dans un carnet. Il joue son rôle à merveille, mais son entreprise journalistique va vite se heurter à l’inexplicable…

Seul le silence est la condition absolue pour que se fassent entendre en nous la véritable parole, les véritables révélations.

Les ombres grises des hommes accoudés à un vieux zinc, la silhouette d’un dandy français, le crâne lisse d’un prêtre, les courbes voluptueuses d’une femme au corps nu, jamais rassasiée de caresses: tout ce beau monde se côtoie à mesure que défilent les saisons. Cette palette de personnages favorise la confrontation des croyances et des opinions qui agitent les murmures de la foule. Que se passe-t-il de si terrifiant pour délier ainsi les langues et réveiller les peurs des hommes? Le héros erre ainsi de case en case en quête de réponses et l’on se laisse saisir et entraîner dans une quête initiatique durant laquelle le mystère n’est pas prêt à livrer toute sa vérité.

A l’heure où je commence à écrire ces lignes mouvantes comme des marécages, je ne sais moi-même où je pose mes pas. Déjà perdu avant d’arriver.

L’album de Thierry Murat a pour protagoniste un journaliste épris de poésie qui s’empare – par le biais de l’écriture – du monde qui l’entoure. Le récit, très inspiré et profondément littéraire nous charme à la manière d’un envoûtement. Les mots dévoilent une plume qui épouse la beauté des ambiances du XIXe et l’on laisse aisément le réel nous échapper pour céder à la tentation du fantastique, des croyances ancestrales et à la magie des sorcières d’un autre temps. Entre l’incantation fascinée et l’ode à la femme et à la féminité, le texte de Thierry Murat s’offre la noirceur de Poe que l’on mélangerait à l’audace d’un poète maudit. La prose poétique qu’il insuffle à ses pages est venue définitivement convaincre la littéraire que je suis et j’ai aimé ce personnage qui tentait d’épingler des vertiges comme Rimbaud les fixait dans Une Saison en enfer.

Et il faut dire que dans cet album, l’enfer s’est insidieusement glissé dans chacune des saisons dépeintes au fil des chapitres. Malgré le sombre et l’obscurité qui règnent, la lumière n’est jamais loin et l’érotisme et le verbe y sont flamboyants. Et lorsque la couleur jaillit, elle a le goût du sang, l’odeur des fleurs discrètes et l’éclat d’un feu que l’on attise.

D’une beauté sobre et d’une élégance insolente. Admirabilis Animabilis.

Mon existence est devenue une éternelle insomnie.

Thierry Murat au milieu des livres : Le Vieil homme et la mer / Au Vent mauvais.

Animabilis – Thierry Murat

Futuropolis

1er novembre 2018

ISBN: 978-2-7548-2320.

158 pages / 23€

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