Derrière la vitre, le paysage fuyant, troublé par la vitesse et la fumée de la locomotive qui fonce, fière et vaillante vers des terres pleines de promesses. Derrière l’objectif, l’œil du photographe et toute la beauté du monde suspendue à cet instant encore à saisir. Derrière la fenêtre, sa femme et ses enfants. Le confort du foyer, l’apaisement des siens. L’attente du retour. Et de l’un à l’autre, tel le fil d’Ariane, le carnet que l’on ouvre pour y consigner des kilomètres de vie sur du papier, des milliers de miles parcourus pour celui qui regarde le monde.
Après une première expédition à travers le grand Ouest durant laquelle il officie pour le gouvernement fédéral, Joseph Wallace, photographe de l’upper class américaine, décide de repartir vers les poussiéreuses terres ancestrales des indiens. Fasciné par ces Hommes, c’est libre et sans contrainte qu’il part en quête de rencontres qui changeront son rapport au monde.
Mais alors, qu’est-ce qui nous pousse, nous, hommes de lettres et d’esprit, à nous éloigner de nos familles et à laisser entre parenthèses nos métiers pour partir sur les routes comme de vulgaires vagabonds?
Qu’ils soient écrivains ou photographes, les artistes errants ont quelque chose d’insaisissables sous la plume de Thierry Murat. Leurs déambulations nous conduisent au-delà des frontières, des époques et des territoires familiers. Porté par un désir puissant d’ailleurs, l’artiste se laissera happer par un peuple et une culture qui le piqueront à vif, le saisiront à bras le corps pour marquer son corps et son esprit jusqu’à son dernier souffle. Si la soif d’évasion et l’envie de dire le monde le guident, il va dans cette échappée apprendre à déjouer ses certitudes, en s’ouvrant à l’autre comme nous ouvrons un livre: un peu fébriles, grisés par ce qui nous attend dans la précipitation de l’impatience à combler. S’échapperont également de ces pages les chants des hommes ivres, les mots noirs et incandescents d’un poète dont le scandale colle si bien à la peau.
Y a-t-il des circonstances où le mensonge est acceptable? Peut-on masquer la vérité pour servir un dessein plus élevé que la lâcheté? Cela ne rend pas la feinte plus honorable… C’est sans doute pour cela que l’on ment toujours avec tant d’amertume.
Si le trait de Thierry Murat est identifiable au premier coup d’oeil, le lecteur avisé saura aussi reconnaitre ses mots d’amoureux de la littérature, gorgés de ses fantômes poétiques. Etunwan mélange habilement l’art des récits de voyages et des échanges épistolaires qui lient les gens que les expéditions séparent trop longtemps. Les amitiés nourrissent alors le goût des périples lointains et l’artiste consigne sur le papier les belles espérances et les grandes désillusions.
Les cases aux tons sépia rappellent les clichés photographiques d’une époque révolue. Mais souvent, la planche se grise ou se noircit pour des aventures nocturnes que les jeux de clair obscur soulignent avec une profondeur rare. Et quand une douce lumière s’invite, le lecteur ne se lasse pas de cet ocre doux qui rougit légèrement la planche.
Cette bande dessinée est un témoignage singulier qui rappellerait un album photographique dont on tournerait doucement les pages. Le cadrage y est toujours soigné, savamment étudié, multipliant à l’envi les angles de vue comme autant de regards posés sur le monde. L’Amérique est là dans toute son immensité: routes sinueuses, hauteurs vertigineuses, végétation dense et terres caillouteuses et désertiques. Mais cette Amérique-là ne saurait, hélas, être épargnée par la bêtise des hommes. A l’artiste de saisir la grandeur ce peuple qui sera confronté à un funeste destin.
Quelle meilleure invitation au voyage que cet album à travers lequel celui qui regarde raconte l’autre et l’ailleurs avec admiration, pudeur et gratitude, et entretient inlassablement la curiosité – comblée – de celui qui lit.
(Avec, en prime, une très jolie dédicace en souvenir d’un beau festival du côté d’Angoulême…)
C’est un très long chemin où tu vas te perdre. Seul.
Le blog de l’auteur.
Thierry Murat au milieu des livres : Animabilis / Le Vieil homme et la mer / Au Vent mauvais.
Etunwan – Thierry Murat
Éditions Futuropolis
ISBN:978-2754811972
23€ / 160 pages
Juin 2016

Je l’avais repérée à la bibliothèque mais je ne connaissais pas encore cet auteur et je l’ai laissé. Il va falloir que j’y retourne.
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Je me réjouis pour toi Fanny de savoir que tu as encore de belles lectures qui t’attendent pour découvrir Monsieur Murat… Cet album est un de mes préférés parmi tous ceux que j’ai lus de lui.
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Merci pour tes conseils !
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Très beau, j’ai grande envie de découvrir et le trait et cette histoire…
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je n’en ferai pas une priorité mais je le note, c’est certain! merci pour la découverte!
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Bon, tu nous as encore déniché une pépite. Y a plus qu’à.
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Thierry Murat… L’évidence ❤
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C’est vrai que le trait est singulier. Je note aussi ! 🙂
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Je ne suis pas spécialement tentée par cet album, même si je sais qu’il faudrait que je dépasse mon appréhension de la couverture…
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Voilà… Il faudrait…
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Il faut que je parte à la découverte de cet auteur. Merci Moka pour cette belle découverte.
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Ah oui il ne faut pas rater ta rencontre avec Thierry Murat…
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L’histoire m’attire évidemment. Ce serait l’occasion de découvrir Thierry Murat.
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Je l’avais repéré en librairie … il faut dire que la couverture est sublime. Le dessin me fascine et ce que tu dis du scénario me fait plus qu’envie !
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Voilà qui me tente bien. Les illustrations ont l’air magnifiques !
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J’aime ce que fait Murat, alors je la lirai 😉
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Je prends ! Tout le plaît !
J’avais beaucoup aimé son « vieil homme et la mer ».
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Très bel album en effet. Il n’y a rien à jeter dans la production de Murat de toute façon, c’est assez rare pour être souligné un auteur qui ne déçoit jamais.
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j’aime beaucoup l’univers de Murat et rien que pour ça, je note cet album !
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Oh mais oui, pourquoi pas, j’ai déjà été charmée par le trait et l’approche de Thierry Murat dans Animabilis, et je suis curieuse de voir autre chose de lui.
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