Virgil a dans la voix les chants traditionnels de la Modalvie laissée derrière lui. Assan a fui le ciel de Somalie en renonçant à la Foi, abandonnant le croyant qu’il n’est plus. Chanchal, effeuille les roses bien loin de son Bangladesh natal. Iman a sept ans et a quitté son pays puisque malgré son jeune âge, sa culture lui rappelle qu’elle est une femme avant même de lui laisser le temps de le devenir. Iman a sept ans et ses lèvres seront cousues de paille, pansées par la terre de son pays en attendant qu’un homme daigne ouvrir cet ignoble présent mutilé dans les hurlements et la douleur.
Des hommes alignés sur la même ligne de départ mais pas sur la même piste. Certaines minées d’obstacles obligeaient à des détours sans fin, d’autres arides et escarpées conduisaient droit à l’exil, d’autres encore, lisses et goudronnées comme la sienne, à des vies sans surprise.
Ils ont échoué sur ces pages comme d’autres échouent sur le rivage. Des Œdipe qui ont vu leurs yeux crevés par l’absurdité d’un destin qui les engloutit en leur promettant l’ailleurs meilleur, l’Europe comme une terre de « mieux vivre. » Manoukian leur donne un nom, un visage et dessine dans nos esprits des corps battants qui ne sont pas ceux gorgés d’eau des tristes unes des journaux. Ces personnages sont des échoués qui refusent l’échec, prêts à tout pour vivre coûte que coûte. Incessamment baladés par des vagues d’angoisse, d’inquiétude, d’espoir, de rencontres lumineuses et sordides, constamment ballottés par des vagues de bien-être qui polissent les blessures, des vagues de cruauté qui ravivent les douleurs, des vagues de bêtise qui enlisent ces détresses qui n’ont rien d’ordinaire. Les échoués est l’histoire de ces vies qui comportent bien trop de si pour être sereines.
Daria s’accordait un de ces moments d’égoïsme qu’il faut savoir s’accorder si on veut pouvoir continuer à supporter les renoncements.
Un premier roman d’une force rare qui ne ménage pas son lecteur. Si quelques pages aux élans poétiques vous insufflent quelques bouffées d’oxygène, d’autres comme des vagues qui vous submergent, vous coupent le souffle et vous étouffent en vous serrant la gorge. On fronce les sourcils, on grimace, on déglutit difficilement. Si la fiction s’en mêle, sa cruauté réaliste vous rappelle que ce qui est écrit n’est pas le pur produit de l’imagination, et que ce que ces Hommes vivent s’endure au quotidien, telle une routine scandaleuse et inhumaine.
Les négriers n’avaient plus besoin de razzier les villages comme au XIXe siècle. Les candidats à leur propre malheur se battaient entre eux pour rejoindre usines et chantiers, enfournés par milliers à l’arrière de camions, dans les cales de rafiots ou à l’intérieur des conteneurs. Et cet esclavage-là, aucune loi n’arriverait à l’abolir.
Cependant, si l’on lève le voile sur ce monde hiérarchisé sans foi ni loi, si l’on raconte ces parcours sans en taire les plus sales rouages, ce livre sait aussi merveilleusement conter des instants radieux et de belles histoires d’hommes livrés à eux-mêmes dans un ailleurs qui n’est pas à la hauteur des espoirs qui les guident. Je relirai ce livre autant de fois qu’il le faudra, pour le plaisir et l’émotion provoqués par ces instants partagés au bord de la mer, moment hors du temps, pour m’émouvoir encore de cet humanisme étincelant qui rassemble les hommes.
Certes, l’œuvre de Manoukian raconte l’ignoble, mais elle rend aussi formidablement compte de la beauté de ces mains tendues pour relever l’homme humilié et la femme meurtrie dans leur dignité. Dès lors surgit du sordide, un amour de l’humanité, comme la plus belle façon de résister à ceux qui véhiculent des idées sur une situation dont ils ignorent les enjeux et les mécanismes, comme le remède douloureusement insuffisant pour apaiser les cris de ceux qui se tairont à jamais.
La certitude que tout ce qui n’était pas partagé perdait beaucoup de goût.
Une lecture qui m’a renvoyée aux émotions qui m’ont tiraillée en découvrant le merveilleux Ederlezi de Velibor Colic cet été durant mon périple roumain. De l’écœurement au sublime, de l’impuissance à la beauté de l’espoir, Manoukian signe avec humour et gravité, un titre inoubliable, un grand texte qui se doit de réveiller les consciences et les Hommes.
L’article de Jérôme, parrain de l’opération Priceminister, de mon Petit carré jaune, Noukette , Charlotte, La Fée lit… (Et tant d’autres.)
Les échoués – Pascal Manoukian
ISBN :978-2-35949-434-1
304 pages / 18.90€
Août 2015
Rentrée littéraire 2015 – PriceMinister
Magnifique ton article… Je te cite : « Ils ont échoué sur ces pages comme d’autres échouent sur le rivage. Des Œdipe qui ont vu leurs yeux crevés par l’absurdité d’un destin qui les engloutit en leur promettant l’ailleurs meilleur, l’Europe comme une terre de « mieux vivre. » » Ouaou !
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Merci Goran. Ce titre méritait vraiment que je choisisse bien mes mots tant il m’a plu.
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Très beau billet en effet… On sent que ce roman t’as beaucoup touchée! Je l’ai beaucoup aimé aussi 🙂 une lecture très poétique pour parler d’un sujet difficile…
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Merci. (Décidément que de merci avec ces commentaires…)
Comme tu le dis, ce texte m’a touchée comme rarement la littérature contemporaine a su le faire. Et le sujet me touche tellement que je mène un gros projet avec mes 3e. Et que du coup, ça résonne bien fort, bien loin.
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Oh c’est génial que tu puisse prolonger ta lecture avec ce projet pour tes 3e ! J’espère que ce texte va les toucher autant que toi alors.
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Ce sera pour un extrait ou deux mais je trouve ça dommage de ne pas partager cela avec eux en travaillant sur ce thème…
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Oui c’est sûr! J’espère que ça va leur plaire en tous cas 🙂 ça leur fait découvrir un peu de littérature contemporaine qu’ils n’auraient sûrement pas découverte d’eux-même en plus.
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Excellent ton billet qui nous donne vraiment envie de plonger dans ces pages pour trouver avec ces personnages un rivage…entre l’espoir et le désespoir…
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Merci beaucoup. J’espère qu’il donnera encore et encore envie de le découvrir tant ce livre mérite d’être lu.
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Il est drôlement beau ton billet …
Et ce livre, oui, quel chamboulement et quelle force…
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Merci ma Frambouille. Il faut dire qu’il est drôlement beau aussi ce livre… ❤
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❤
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J’hésitais encore à lire ce titre dont tout le monde autour de moi dit beaucoup de bien… Ton superbe billet devrait finir de me convaincre.
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Si ce billet parvient à te décider alors tu m’en vois vraiment ravie !
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Belle chronique ! Ce roman le mérite amplement !
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Je crois qu’il méritait que je m’applique en effet. ^^
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Il fallait tes mots sur ce texte là… ❤
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Qui font parfaitement écho aux tiens non ? ❤
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Lecture prévue, il faut seulement que je le réserve à la bibliothèque. Je m’attends à un choc.
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C’est un texte d’une grande force. Je te souhaite de l’aimer autant que moi/nous.
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Un livre qui ne laisse pas indifférent à ce que je vois, je le note…
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C’est un titre que je ne suis pas prête d’oublier et que je vais souvent conseiller ou offrir.
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Félicitations ! superbe billet énormément tentateur.
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Merci beaucoup Laure ! J’espère qu’il saura convaincre ceux et celles qui n’ont pas encore croisé sa route.
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Il semble faire l’unanimité.
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Au risque de faire de grands déçus à susciter de telles attentes… Mais sincèrement, tu auras compris que cette lecture en vaut largement la peine.
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Quel beau billet!! Je l’ai déjà noté, je ne le lirai pas tout de suite mais il me tend les bras …
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Merci beaucoup Tiphanie. Il peut attendre. Ce qui serait dommage, c’est tout simplement de l’oublier et de passer à côté.
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Déjà, tu m’as fais confiance en choisissant un titre de ma sélection (je n’en attendais pas moins de toi, mais quand même). Ensuite, tu tombes en amour pour ce texte (rien de plus logique, mais quand même). Enfin, tu trousses un billet qui m’enchante et me laisse baba d’admiration (ce qui ne me surprend pas, mais quand même).
Bref, chapeau bas m’dame Moka ❤
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Je crois que tu as choisi là LE titre qu’il me fallait pour cette rentrée littéraire que je suis habituellement de loin. Te faire confiance dans ce domaine était/est d’une évidence sans nom.
Je suis d’autant plus fière d’avoir rempli ma mission en pondant quelques lignes qui te touchent.
Bref, merci à toi aussi. Je signe quand tu veux pour te suivre aveuglément dans une sélection livresque. Mais, ça non plus, ça ne te surprendra pas. ❤
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je l’ai acheté. Les avis sont unanimes, il me tarde de le lire!
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Tu me diras hein ?
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Je suis de plus en plus tentée par cette lecture aussi, mais freinée aussi par sa dureté. Je sens qu’il va me bousculer celui là…
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C’est aussi ça le rôle des grands livres…
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Je pense n’avoir lu aucun avis négatif ni même mitigé à propos de cette lecture! Je l’ai reçu à Noël, je pense m’y plonger très prochainement!
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J’ai hâte de connaître ton avis.
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Il est à la bibli, donc pas de souci, j’hésitais, mais certains billets m’ont fait vaciller. ^_^
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J’aimerais tellement qu’il te parle comme à moi…
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Je n’ai pas tout aimé dans ce roman mais j’ai envie de dire, on s’en fiche. C’est quand-même un indispensable.
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Figure-toi que j’aimerais vraiment savoir pourquoi… Je ne m’en fiche pas le moins du monde.
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un très, très bon premier roman.
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Ah ça oui. Indéniablement.
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On se prend un véritable coup de poing en le lisant, mais tu as raison de souligner qu’il y a également des éclats de lumière.
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C’est là toute la force de ce grand livre.
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