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Itinéraire d’une garce – Grazia La Padula & Céline Tran

La main de l’homme qu’elle aime posée délicatement sur son visage au petit matin, l’odeur du café dans la cuisine, le baiser déposé dans les cheveux. Voilà à quoi ressemble la tendre routine des années partagées pour Élise et son mari. Tout semble paisible et doux, empreint d’une infinie tendresse dans la vie de ces cinquantenaires ordinaires. Comment faire face, dès lors, à cette terrible déconvenue lorsqu’Élise découvre au bout du fil que son mari a cédé à la tentation de l’infidélité et que certains soirs réguliers sont réservés à un autre corps et une autre bouche?

Je te hais de t’aimer encore. Que reste-t-il de moi?

Cette révélation agit comme un douloureux détonateur dans la vie de ce couple. Élise garde tant bien que mal pour elle le secret de sa découverte bouleversante et cherche évidemment à mettre un visage sur cette autre vie que mène son mari. Elle questionne dès lors le lien qui l’unit à son compagnon et les raisons d’un tel éloignement. Chaque instant partagé, chaque absence « professionnelle », chaque rapprochement avorté ne cesse de la renvoyer au détachement  de l’autre et le quotidien lui apparaît alors d’une sobriété malheureuse. Si le sexe est triste, l’absence de désir l’est tout autant.

Journaliste de profession dans un magazine, elle fait de sa déconvenue le sujet d’une réflexion sur le désir dans un couple installé et ronronnant. Commence alors une véritable quête sur la place de la sexualité dans nos vies d’hommes et de femmes. Si la question de l’adultère se pose, celle du plaisir que l’on s’octroie, que l’on assume et que l’on partage est au cœur de ses raisonnements et tergiversations. Face à un sujet de cet acabit, les planches de Grazia La Padula se gorgent d’un érotisme sensuel absolument flamboyant. L’aquarelle – aux tonalités graphiques proches des albums de David Sala -dit merveilleusement la beauté des êtres dans toute leur sensualité et diversité. Rondeurs, cuisses capitonnées, cicatrices, aspérités: le corps sous les pinceaux de Gazia La Padula a quelque chose d’ancré dans le vrai et ce qu’on l’on cherche habituellement à lisser, gommer est ici montré sans pudeur en devenant tout simplement beau.

Je suis désarmée, petite, laide, impuissante. Périmée? Tu as peut-être raison, après tout. Les garces ont gagné.

Alternant les cases plus traditionnelles et les planches en grand format, le récit de ces aventures licencieuses se voit ponctué de petits monologues intérieurs qui dévoilent les réflexions et cheminements intimes de l’héroïne qui se découvre/retrouve à un âge où la société vous matraque – en tant que femme – que votre corps vieillissant ne mérite plus vraiment d’être vu ou vos envies d’être exprimées voire explorée. Un beau pied de nez aux injonctions sociétales qui ont encore – hélas – de beaux jours devant elles.

Ainsi, cet album ne saurait être réduit à de vulgaires scènes de baise ou à une bande dessinée érotique bien que nombreuses soient les planches à mettre en les mains d’un public averti. Les autrices ici vont plus loin, tentant avec subtilité de faire émerger des questions essentielles sur ce qu’un couple peut exprimer, taire ou souhaite partager dans le but de vivre une sexualité épanouie donnant sa juste place au désir, à la jouissance et à l’amour de soi et de l’autre.

Une porte s’est ouverte et je ne sais pas si je parviendrai à la refermer. En aurai-je seulement envie?

Chez Stephie

Prolongements et échos:

Itinéraire d’une garce –  Grazia La Padula & Céline Tran
Éditions Glénat – Collection PornPop’
24.95 € / 136 pages / 2022
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