Jenny – Sigrid Undset

Alors qu’elle s’est installée en Italie, Jenny, jeune artiste norvégienne a su s’entourer d’un cercle amical qui lui offre le goût de la liberté et des échanges passionnants et passionnées sur la peinture. Loin de son pays natal, elle a trouvé sa place auprès de personnes qui partagent ses envies et ses valeurs loin des pressions sociétales qui pourraient l’assigner à un rôle domestique nettement moins épanouissant.

Notre amour était trop beau pour le mensonge.

Ses amours sont généralement éphémères et souvent décevantes. Si les hommes sont loin d’être insensibles à son charme et son esprit, elle se laisse aller à des aventures qui lui paraissent vite fades. À l’âge des grands engagements et des promesses d’éternel, elle ne parvient à aimer durablement en retour ceux qui lui mettraient volontiers la bague au doigt.

Heureux ceux qui sont satisfaits, ceux qui ne refusent pas, mais prennent en patience un destin médiocre. Mais moi, je crois encore à mes rêves, et le seul bonheur pour moi est celui auquel j’aspirais. Je crois encore qu’il existe.

Constamment tiraillée entre ses élans sentimentaux, ses envies de vivre une histoire  passionnée et ses questionnements profonds sur l’engagement artistique et amoureux, Jenny est une femme libre, indécise qui refuse la tiédeur et voit sa vie jalonnée de rencontres qui déterminent avec plus ou moins de cruauté le destin qui sera le sien. Ce roman de l’écrivaine nobélisée Sigrid Undset dresse ainsi le portrait parfois ambigü d’une héroïne pas si ordinaire qui dénote dans une époque fortement dirigée par les conventions sociales et l’ordre moral. Jenny se joue des attentes du monde quitte à se noyer dans les désillusions face à la petitesse des vies qui ne lui disent rien qui vaille. Forte de ses décisions ou de ses choix, chaque déception vient pourtant égratigner et fragiliser cette indépendance qui fait sa singularité. Face à elle, le monde semble bien peu enclin à répondre à sa soif d’absolu et à sa quête d’un idéal impossible à trouver.

La vie en ce temps-là était comme une marée violente dont les vagues parvenaient jusqu’à la plus petite ville, jusqu’à la moindre bourgade qui se dressait alentour.

Jugé scandaleux à sa publication, ce roman a en germe des pages qui pourraient nourrir les réflexions sur l’émancipation féminine. Les dialogues – parfois un peu longuets – soulèvent ainsi des questionnements d’une modernité étonnante. Les femmes y ont une grande liberté de ton et n’hésitent pas à souligner toutes les contradictions qui les émeuvent – ou les contraintes pesant sur leurs épaules – dans une société qui ne jure que par les vies consensuelles. Et pourtant, si cette dimension très avant-gardiste semble être au cœur de ce récit, il n’en demeure pas moins qu’il met aussi en avant des héroïnes qui se voient contraintes de renoncer à leurs grandes aspirations faute de réelle possibilité de mener la vie dont elles rêvent.

Je suis – Dieu merci – une artiste. On s’attend à ce nous autres, nous fassions un peu de scandale de temps à autre.

Rien de bien étonnant donc, si je vous dis avoir tourné ces pages à une vitesse folle face à ce portrait qui m’aura assurément marquée tant l’autrice y déploie toutes les subtilités psychologiques de sa plume pour souligner les tourments existentiels de ses protagonistes. Un texte fort, parfois sombre, pour un destin de femme qui l’est tout autant.

Les chroniques de toute l’équipe des fantastiques classiques pour ce thème Nobel vs Goncourt : Fanny / Antigone / Mag / Lili / Marion / Lilly / Lolo / Marion / Ingannmic / Katell / Virginie / Margot / Jérôme  / Sacha  / Violette / Marilyne  / Fanny (Manoir) / Un livre un thé / Cléanthe / Madame Lit / Céline

Les classiques c’est fantastique ! [Saison 4]

Jenny  – Sigrid Undset (Prix Nobel de littérature) Traduit du norvégien par Marthe Metzger Éditions Cambourakis  13,50 € / 432 pages / 1911 Littérature norvégienne / Les classiques c’est fantastique / Prix littéraires