Pauline – Alexandre Dumas

Tu comprends que cette scène étrange suffisait à chasser pour le reste de la nuit, non seulement tout espoir, mais encore toute idée de sommeil.

Alors qu’il se retrouve avec des amis de longue date, Alfred de Nerval va dresser le portrait d’une femme qu’il a profondément aimée. Ainsi va nous être contée la brève vie de Pauline à travers les mots mélancoliques et admiratifs d’un narrateur qui eut pour elle un coup de foudre saisissant. Sauvée d’un piège tendu par sa canaille d’époux le sacré bâtard Comte Horace de Beuzeval, Pauline sera contrainte de fuir pour se faire oublier du monde avec la complicité d’Alfred. Le narrateur voit en cette échappée l’occasion rêvée pour révéler enfin à cette femme tout l’amour et l’estime qu’il lui porte. Malgré toute la délicatesse dont il fait preuve pour lui témoigner son vif intérêt, Pauline demeure une femme sacrifiée et traumatisée dont l’innocence a été bafouée par un époux scandaleusement hypocrite et malsain. Profondément attachée aux valeurs du mariage, elle est une femme brisée à qui Alfred tente, par tous les moyens, de redonner le goût de vivre.

Vous vous réveillerez dans un caveau où nul n’est descendu depuis vingt ans, et dans lequel, d’ici à vingt ans peut-être, nul ne descendra encore. N’ayez donc aucun espoir de secours, car il serait inutile.

Pauline est un personnage de Dumas venant s’ajouter à ses grandes héroïnes comme La Reine Margot. Dans un classique jeu de récits enchâssés, Dumas relate les multiples rebondissements jalonnant la vie de Pauline. De l’épouse délaissée à la femme désirée en passant par la figure de fugitive, ce personnage est fait de nombreuses facettes qui lui assurent sa dimension romanesque. À la fois héroïne tragique et romantique, elle est aussi celle qui cristallise la tentation de Dumas pour le roman noir, le rendant à juste titre aussi singulier.

Il y a des destinées qui peuvent ne se rencontrer jamais, mais qui, dès qu’elles se rencontrent, ne doivent plus se séparer.

Si les premières pages m’ont semblé un peu poussives dans le déploiement du récit-cadre, l’apparition de Pauline donne aussitôt une autre envergure à ce court roman. Empreinte de mystère et forte dans sa ténacité face à l’adversité, Pauline est l’incarnation même de la place accordée à la femme dans la société du XIXe. La palette des personnages secondaires féminins n’est pas en reste. Sous l’autorité maritale ou sous le joug d’une décision fraternelle (qu’elle leur soit ou non favorable), les femmes dépendent des hommes et de leur bon vouloir pour mener leur vie.

Horace de Beuzeval retomba d’un seul bond au milieu de notre société usée, où tout est mesquin, crimes et vertus, où tout est factice, visage et âme où, esclaves emprisonnés dans les lois, captifs garrottés dans les convenances, il y a pour chaque heure du jour de petits devoirs à accomplir, pour chaque partie de la matinée des formes d’habits et des couleurs de gants à adopter, et cela sous peine de ridicule, c’est-à-dire de mort ; car le ridicule en France tache un nom plus cruellement que ne le fait la boue ou le sang.

Héroïne de la résignation, Pauline est incroyablement touchante et d’une dignité sans pareille face au destin qu’elle subit. Sous la plume dramaturgique à souhait de Dumas, elle offre au roman une densité évidente qui n’a rien à envier à ses pavés tant il concentre les ingrédients qu’affectionne le lectorat de l’auteur. Rebondissements, mystère, duperie, duel, révélations et mensonges: tout est là pour saisir le goût de Dumas pour le romanesque avant peut-être d’avoir entre les mains les œuvres plus conséquentes qui ont fait son succès.

Ce sont les illusions qui rendent les douleurs amères et inguérissables.

Le billet de Fanny, sur ce même roman. Je vous donne quant à moi rendez-vous la semaine prochaine pour le bilan de cette battle entre ces deux messieurs.

 

Les classiques c’est fantastique ! [Saison 4]

 

Pauline – Alexandre Dumas Éditions Le Livre de poche  5,60 € / 256 pages / 1838 Les classiques c’est fantastique / Littérature française