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Éloge des fins heureuses – Coline Pierré

[Les fins heureuses] sont les poils à gratter de nos existences. Malgré leur apparence de fruits sucrés et juteux, elles refusent de nous laisser en paix avec nos petits arrangements quotidiens. 

Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ou la rengaine finale des contes murmurés à l’heure du coucher. Les histoires d’amour finissent mal, en général ou la chanson qui fédère l’adhésion des copines qui s’enjaillent passés les verres qu’on ne compte plus à heures tardives lors des soirées qui défoulent. (True story). D’un exemple à l’autre, l’optimisme s’est tout bonnement fait la malle, sans autre forme de procès.

Offrir une fin heureuse à un personnage malheureux, c’est faire acte de désobéissance. On affirme haut et fort une morale de la contradiction. Et en imaginant une alternative, on aide à la rendre possible dans le monde réel. L’imagination est la première forme d’action politique.

Sous la couverture lumineuse, les mots de Coline Pierré qui défendent ardemment la nécessité de ne pas aborder avec condescendance et facilité ces histoires qui finissent bien et que l’on taxerait, peut-être de manière expéditive, de mièvres ou de simplistes. Dans cet essai, l’autrice nous invite au fil d’un argumentaire des plus convaincants, à reconsidérer notre rapport aux fins qui n’ont pas la grandiloquence des drames et des histoires tragiques.

La médiocrité est comme un vieux fauteuil défoncé duquel on n’arrive pas à se lever. Il nous fait mal au dos. Il est rempli de puces de lit, mais il est ce qu’on a de plus familier.

Les déconvenues et désillusions de nos vies d’adultes ont distillé en nous – et au compte-gouttes – ce qu’il faut d’amertume, détrônant ainsi de nos esprits l’idée qu’une fin heureuse peut s’enorgueillir d’être jolie. C’est donc avec une certaine impertinence que Coline Pierre vient rompre avec nos a priori, titiller notre propension aux sarcasmes, questionner notre complaisant pessimiste… Autant dire que ce petit texte à contre-courant est venu s’attaquer à ce qui parfois cherche un peu trop à s’exprimer chez moi.

Je considère qu’on ne peut pas se permettre de briser des ados qui doutent et des enfants qui espèrent, parce qu’en lisant nos livres, ils nous offrent leur vulnérabilité et leur confiance. Il ne s’agit pas d’être béat d’optimisme, mais simplement de ne pas leur mettre la tête sous l’eau.

Voyez-vous, j’aime les histoires tristes à en crever, je sors la carte des sarcasmes comme une pirouette malhabile et provocatrice, je me sens parfois – souvent – cynique et résolument désabusée. Alors vous imaginez bien combien ce texte est venu me bousculer à la manière d’une bourrasque. Oui, rien que ça. J’ai beau savoir que je ne changerai pas foncièrement ce ciment-là, j’ai pourtant eu la conviction que cet essai avait atteint totalement sa mission. Celle de m’ouvrir à d’autres perspectives, celle de changer parfois l’angle de vue – ou d’attaque – de mon rapport à l’autre et à toute la littérature qui habituellement me remue.

Je crois intimement que la littérature entaille le monde, qu’elle le fissure, qu’elle permet aux volcans que nous sommes de laisser gronder notre colère et nos révoltes.

Coline Pierré ne s’attarde pas seulement sur la question des fins. Elle nous offre ici une superbe déclaration d’amour au pouvoir et à la force de la fiction et de l’imaginaire (qui s’éloignent de plus en plus de la production littéraire contemporaine à mon goût.) Elle déploie son raisonnement en s’intéressant aux processus d’identification en tant que lecteur·rices face aux protagonistes, mais aussi à l’acte d’écriture en convoquant notamment des réflexions autour de ses choix narratifs ou de sa manière de façonner ses personnages. C’est vraiment très accessible, délicieusement intelligent, et le ton vif et percutant vient sacrément dépoussiérer l’idée que l’on se fait des essais longuets et verbeux qui nous ennuient aussi vite qu’ils nous perdent.

Si vous n’avez pas besoin de la fiction pour respirer, c’est que votre air a déjà été filtré par le néolibéralisme et le patriarcat.

Un texte que je saurais que trop vous encourager à lire, un titre éminemment politique qui bouscule et révolutionne joyeusement les idées reçues en réveillant l’optimiste qui sommeille (un peu trop) profondément en vous.

Le site de Coline Pierré.

Coline au milieu des livres : Pourquoi pas la vie? / Une grammaire amoureuse / En couple ! / Elle est le vent furieux 

Éloge des fins heureuses – Coline Pierré
Éditions Daronnes
12€ / 88 pages / 2023 (Première édition Le Monstrograph – 2018)
S’essayer à l’essai / Des autrices ! / Mars au féminin

12 réflexions au sujet de « Éloge des fins heureuses – Coline Pierré »

  1. je suis tellement d’accord avec cette autrice, je trouve que façonner un monde heureux en littérature m’attire plus que lle glauque qui est en général bien vue en ce moment. Je ne dis pas « fleur bleue » mais où on peut se sortir des difficultés bien réelles

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  2. Après Fanny, tu achèves de me convaincre qu’il faut impérativement que je me plonge dans ce lumineux essai ! 🙂

    [Mais, je reste convaincue que les histoires d’amour finissent mal, on détrône pas un classique aussi facilement ! ;)]

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