Alors qu’ils remplissent leurs poches et leur camionnette comme des goinfres se rempliraient la panse, Dimitri Lavrine – trafiquant de biens de son état – et Slava Segalov – artiste ayant renoncé à ses pinceaux pour d’autres activités moins nobles mais plus lucratives – arpentent les vastes et riches bâtisses délaissées au cœur du Caucase. Y gisent les vestiges d’une URSS qui n’est plus mais dont les trésors déchaînent les passions chez les investisseurs et riches collectionneurs. Heureux comme un poisson dans l’eau, Dimitri Lavrine s’imagine déjà sous des montagnes de petites coupures tant leur malhonnête moisson est fructueuse.
Cette euphorie n’est que de courte durée: Lavrine est loin d’avoir en ces contrées enneigées le monopole de la truanderie et de l’esbroufe. Leur véhicule quitte la route dans une course-poursuite entre personnes peu scrupuleuses bien décidées à en découdre avec nos deux maraudeurs. Sauvés in extremis par Nina une jeune femme élancée et particulièrement habile lorsqu’il s’agit de viser en pleine tête, ils se retrouvent mêlés à une histoire de conflit social dans une exploitation minière. L’occasion est trop belle pour Dimitri Lavrine qui veut saisir l’opportunité qu’il entrevoit dans ce potentiel nouveau marché. Slava, quant à lui, ne prend que trop conscience qu’il n’est assurément pas à ça place dans cette nouvelle voie professionnelle qui s’assoit allégrement sur le sens de l’éthique.
Nous sommes de la même race: la résilience d’un cafard, l’amour-propre d’une charogne, et la conscience morale d’un tabouret de cuisine.
Après bien des albums qui ont toujours fait mouche, voilà que Pierre-Henry Gomont expérimente l’écriture longue et se lance dans l’exercice périlleux de la trilogie. Au diable la torpeur des rues portugaises ou de la jungle: cette fois, cap vers l’Est, ce qui n’est pas pour me déplaire. Il signe ici une histoire dense et riche, ne réduisant pas un premier opus à son rôle de rampe de lancement qui sème chichement quelques pistes pour mieux préparer l’avènement des tomes suivants.
Dès les premières planches nous retrouvons l’approche graphique ingénieuse déjà déployée dans La Fuite du cerveau et le sens de la narration très maîtrisé de l’auteur qui explore la puissance suggestive du dessin sous toutes ses coutures. Le trait est pêchu, toujours mouvant et prend part aisément à la dimension comique des planches.
Pierre-Henry Gomont nous livre ainsi un récit que d’aucuns qualifieront peut-être de bavard. (Si seulement tous les bavardages en BD pouvaient être de cet acabit… ) Pour les grincheux et grincheuses qui pinailleraient encore, baissez la garde et laissez-vous porter par la sacrée gouaille des dialogues qui raviront les amoureux·ses de Blier et savourez les fulgurances littéraires qui rendent cet album d’autant plus plaisant à lire.
Je ne troque pas le métal et le feu contre du papier.
Soulignons également l’excellente caractérisation des protagonistes et personnages secondaires. Ils portent en eux une puissance comique indéniable et un goût pour le cynisme qui pique ou révulse mais qui vise tellement juste. Au fil de ces pages jamais ronronnantes, Dimitri Lavrine – loser bout-en-train à ses dépends, petite frappe tantôt caméléon tantôt fouine – est l’incarnation même de la flagornerie du petit bouffon moderne dont la délicieuse fatuité est une des clés de la réussite de l’album. Et que dire de ce personnage discret mais diablement irrésistible qu’est Volodia? Quel pari réussi que de rendre beaux les salopards – non pas au sens de les rendre aimables ou admirables – mais de parvenir ainsi à en faire de parfaites incarnations d’une certaine esthétique de l’anti-héros qui ne saurait se contenter d’être d’une banalité affligeante.
À lire en compagnie de deux ou trois shots de vodka bien frappée.
- Pierre-Henry Gomont au milieu des livres: Rouge Karma / Les Nuits de saturne / Pereira prétend / Malaterre / La Fuite du cerveau
Slava – Après la chute (T.1) de Pierre Henry Gomont Éditions Dargaud 20,50€ / 104 pages / 2022 BD de la semaine – 9e Art |

Franchement, tu arrives à vendre des albums qui de base ne m’auraient pas forcément attirée. Chapeau ! 😀
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j’y jetterai volontiers un oeil (mais sans vodka :)! )
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C’est pour la conclusion car je ne suis pas folle de ce breuvage pour être honnête !
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Si je la croise je me laisserai sans doute tenter !
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je prends le tout, et la BD et la vodka. J’adore Gomont!!
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Vendu !
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Oh que ça me tente ça! Vendu! Et je réalise que je n’ai pas encore lu La fuite du cerveau, que j’ai chez moi!
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tu m’intrigues alors qu’à la base je ne suis pas fan du graphisme ….
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On reconnaît bien le trait… J’avoue que j’avais été moyennement convaincue par la fuite du cerveau, alors pour celui-ci, j’attendrai son arrivée en bibliothèque (d’autant plus qu’il s’agit d’un tome 1)
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Je bois pas de vodka, ça peut quand même fonctionner ?
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Absolument !
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