De Fourmies à Fourmies la Rouge.
1er mai 1891. Une journée qui n’a rien d’ordinaire pour les habitant·es de la petite ville de Fourmies et qui marquera à tout jamais son histoire. Entre l’effervescence des festivités de mai qui se préparent et les tensions tenaces entre les ouvriers et les dirigeants des usines, l’atmosphère est flottante. Les patrons (à l’exception d’un seul) condamnent les rassemblements ouvriers et ces derniers semblent bien décidés à faire entendre leurs revendications exigeant des conditions de travail moins pénibles.
Le terrain semble fertile aux débordements bien que les meneurs des mouvements ouvriers appellent au calme. Maires et industriels, inquiets de la tournure que pourrait prendre de tels rassemblements font appel à des renforts militaires et policiers qui laissent entrevoir que cette journée de fête porte en elle tous les ingrédients pour devenir un drame. Les heures passent, les esprits s’échauffent. Des arrestations ont lieu et bien que l’on promette la libération des ouvriers dans la journée, la colère monte insidieusement, prête à gronder vite et fort.
Il y a chez l’auteur une manière assez flamboyante de s’intéresser aux petites gens et de leur donner une voix avant qu’elle ne soit étouffée par les uniformes. Dans cet album, les briques du nord sont rouges comme les nez qui racontent l’ivresse des heures vacantes, comme les corps usés par le travail, comme les esprits que la colère tourmente. Mais si le soleil se lève et inonde la ville de sa lumière rougeoyante, c’est bien le sang qui recouvrira ses pavés à la tombée de la nuit.
– Rigole. N’empêche, tu sais qui c’est qui leur a mis leurs idées de grève en tête?
– J’sais pas. La misère? La faim?
Le 9e Art pour dire l’Histoire
Pour le lecteur, l’immersion historique et sociale est totale. Langue dans son jus et dessins qui rappellent les gravures des journaux d’époque se mêlent pour offrir un récit criant de réalisme. Bien évidemment, l’on songe aux romans de Zola. Ceux qui racontent les hommes courbés, épuisés, révoltés. Alex. W Inker nous plonge ainsi au cœur même de cet événement historique en contant (et décomptant) les heures qui nous conduisent jusqu’au point de non retour. Le récit, linéaire et implacable semble contenir à la fois la nécessité de laisser la colère surgir et l’urgence soudaine d’une accélération narrative qui donne l’effet d’une véritable fuite en avant. Et le couperet tombera dans la précipitation des gâchettes.
– Le drapeau tricolore? Quand je vois la façon de nous traiter de ceux qui le représentent.
– C’est un étendard qu’on ne pourra pas te reprocher.
Cette misère, c’est d’un ennui !
Sur ces planches ancrées d’un noir épais, c’est tout un monde qui s’incarne sous nos yeux. Les noms des victimes que l’on gravera sur un monument ont ici un visage, des joues rougies par des mots doux, des heures insouciantes d’avant drame, des instants légers d’une vie qui s’apprête à basculer. Nous y explorons les rues pavées de Fourmies qui se feront le théâtre d’une journée sanglante que rien ne semble pouvoir arrêter. Chaque page tournée est un pas de plus vers la tragédie à venir et les frontières entre les clans et les classes perdent de leur flou à mesure que cette journée passe, prête à remettre chacun·e à sa place avec l’idée ferme que tout pas de côté se paiera bien trop cher. Un album qui rend dignement hommage à ces vies d’hommes, de femmes et d’enfants qui, à l’instar de l’aubépine – pour citer deux des héroïnes – ont quelque chose de tellement beau. Mais fragile.
Alex W Inker au milieu des livres: Un travail comme un autre / La Route froide (roman de T.Vermot)
Prolongements culturels:
- Le massacre de Fourmies sur RetroNews
- Lire, relire, lire encore Germinal de Zola. (Et les Rougon-Macquart dans l’absolu.)
- Une autre BD sur les révoltes ouvrières: Un Homme est mort – Kris et Davodeau
Fourmies la Rouge d‘Alex W.Inker Éditions Sarbacane 28€ / 184 pages / Mai 2021 9e Art / BD historique / BD de la semaine |
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Ce mercredi…
La BD de la semaine est au milieu des livres!
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Amandine Sabine Vanessa Eimelle
Je le note de ce pas car cela pourrait bien devenir un coup de coeur !
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Pour son sujet et pour l’auteur (je garde un bon souvenir de Servir le peuple), j’espère bien la découvrir.
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Je n’ai justement jamais lu ce titre. Mais j’ai adoré Un travail comme un autre.
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Quelle tentation cet album !!!! J’ai hâte de le découvrir !
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Historiquement très fort ! Je te souhaite de le découvrir.
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Je l’avais noté pour l’histoire de cette ville non loin de chez moi
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J’ai honte… je pensais que « Fourmies » était un village de fiction.
Bon je retourne à ma géographie et à mes cours d’histoire! 😀
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Allez hop ! Au boulot ! Révisions non stop jusqu’à nouvel ordre!
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Je suis prête pour le contrôle 🤓
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Extrêmement tentée !
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Je n’en doutais pas un seul instant !
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j’aime les planches que tu montre et ce que tu en dit pique ma curiosité. Je note.
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C’est marrant, Jérôme m’en parlait hier et il a trouvé que c’était très factuel et que ça manquait de chaleur, comme quoi… Intriguée du coup !
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J’avoue que sur un sujet pareil, le côté « factuel » me convient très bien. J’ai toujours un peu de réticence face à la dramatisation d’événements comme celui-ci. Et si je vois ce qu’il entend par là, j’ai su y trouver une certaine sensibilité bien qu’elle repose sur le non-dit ou l’économie de bulles.
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Un album qui pourrait me plaire !
Et qui m’a fait penser à celui de Davodeau, comme tu le notes à la fin 😉
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On y trouve certains échos en effet !
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Je ne connaissais pas ce pan de l’histoire, très intéressant, et j’aime les dessins qui font penser à ceux de l’époque.
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C’est effectivement une immersion totale dans le passé avec un dessin tout à fait en adéquation avec le sujet.
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j’aime beaucoup les BD historiques! je note!
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J’avais beaucoup aimé Un travail comme un autre alors je note Fourmies 🙂 J’irai visiter les autres blogs demain 😉
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Je ne connaissais pas la ville de fourmies.
C’est tentant comme album, notamment pour le contexte historique.
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Une ville industrielle du Nord réputée pour son usine textile que tu peux visiter. Le musée est vraiment agréable à parcourir et retrace dans une de ses salles ce terrible événement du 1er mai.
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Voilà qui a l’air d’être une jolie pépite ! En plus, Fourmies est proche de ma ville de naissance 🙂
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Ah mais oui tu es du coin ! J’avais totalement oublié !
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Comme l’a dit Noukette je l’ai lu le week-end dernier et je l’ai refermé en me disant que je n’aurais pas suffisamment à en dire pour faire un billet.
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Entre Noukette qui commente en disant ce que tu en as pensé et moi qui écris l’article, tu n’as finalement plus rien à faire !
Et plus sérieusement, c’est un album qui m’a touchée. Pudique et révoltant. J’aime cet équilibre quand on s’attaque à un sujet historique.
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Comme j’ai hâte de découvrir ça ! Pour l’histoire, le dessin, tout ! ♥
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Je pense qu’elle te plaira ! Je serais surprise du contraire en tout cas.
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Bonjour Moka, je te dois cette belle découverte et de manière générale la découverte du talentueux inker. Merci à toi ! Je viens de publier un billet sur ce roman graphique saisissant à tout point de vue.
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