Des autrices !·Les classiques c'est fantastique·Lire l'ailleurs.

Mémoire d’une recluse – Elisavet Moutzan-Martinengou

Celui qui aspire à la félicité ne doit pas la chercher dans le monde, car plus il la poursuit, plus il s’en éloigne.

Alors qu’elle grandit dans un milieu privilégié, Elisavet Moutzan-Martinengou n’a d’autre destin que celui de faire un bon mariage qui lui assurera une situation confortable, conforme à ce que la société et sa famille prévoient pour elle. Mise à l’écart et privée d’une éducation qui n’est pas une priorité pour son sexe, elle trouve refuge dans les écrits liturgiques et prend goût à la beauté des langues étrangères grâce à un précepteur très pieux qui lui offre une bouffée d’oxygène inédite et enthousiasmante. Dès lors, s’impose à elle une idée qui ne saurait être envisagée pour une jeune fille de son rang: refuser les promesses fallacieuses d’un mariage au profit d’une vie de recluse dans un monastère. Comment trouver alors, la force, l’énergie, l’audace, de réclamer à sa famille ce qui paraît alors impensable? À quel renoncement faire face quand le carcan familial – et patriarcal – pèse plus que vos ambitions ? Que dire, quand la liberté – certes idéalisée – prend la forme d’une retraite faite de silence, de solitude et d’isolement ?

Parents, jouissez du pouvoir que vous avez légitimement sur vos enfants, mais pas davantage ! N’allez pas usurper les droits de la nature. Cette gloutonnerie, laissez-là, je vous en prie, aux tyrans, à qui seuls elle convient.

Ce petit livre donne à entendre et écouter la voix d’une femme amoureuse des langues, éprise de culture, nourrie de littérature qui réaffirme inlassablement ses choix face aux figures masculines qui la somment de ne pas obéir à ses désirs et choix de vie. Sa vision du monde la pousse à ne pas suivre le destin ordinairement réservé aux femmes. Non, être épouse n’est pas un idéal de vie qui la grise et le désir de se retirer du monde s’impose à elle comme une évidence. L’entrée dans un monastère semble alors être son unique échappatoire. Mais que faire alors quand votre vie et votre épanouissement dépendent de l’aval des autres?

J’avais très peur de tous les maux que peut subir une femme mariée, mais, plus que tout, je craignais de tomber sur un de ces hommes qui traitent leur épouse comme une esclave et la jugent mauvaise si elle refuse qu’on en use ainsi avec elle.

Quand Elisavet Moutzan-Martinengou achève l’écriture de ce premier volet autobiographique, elle n’a que 29 ans. La postface indique qu’elle mourra à 31 ans, donnant à la dernière page et à ses derniers mots une résonance toute particulière. Elle est une de ces autrices oubliées, totalement méconnue en France à l’origine d’une œuvre théâtrale importante en Grèce, et nous est présentée comme une des précurseuses du féminisme dans ce pays.

Si cet écrit teinté d’un goût un peu trop prononcé pour le sacré semble pétri de naïveté et de désillusions, il n’en demeure pas moins touchant et édifiant. Sans grand éclat stylistique, ce portrait de la renonciation est avant tout un témoignage aussi désolant que frustrant sur le sacrifice d’un être qui n’aspirait qu’à l’émancipation. Une raison de plus de revendiquer encore et toujours, l’importance des libertés gagnées à travers les combats menés pour la condition féminine. En ces temps des plus qu’obscurs, cette lecture n’en est que plus recommandable.

Les classiques c’est fantastique [Saison 5]

Thématique de juin : Tout plaquer : solitude, introspection et isolement.

Les chroniques de Lolo / Marion/ Natiora / Ingannmic / Madame lit / Margot / Cristie / Virignie / Solenn / Pamolico / Violette

Échos et prolongements :

Autobiographie Mémoire d’une recluse – Elisavet Moutzan-Martinengou
Traduit par grec par Lucile Arnoux-Farnoux
Éditions Cambourakis
10 € /114 pages / 1831
L’art du récit / Les classiques c’est fantastique / Lire l’ailleurs

16 réflexions au sujet de « Mémoire d’une recluse – Elisavet Moutzan-Martinengou »

  1. J’ai été particulièrement frappée aussi par la réclusion qui lui a été imposée presque toute sa vie au nom de traditions et qu’elle aurait pourtant préféré prolonger plutôt que tenter une « échappée » par le mariage.

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