Et mon coeur fait boum·S'essayer à l'Essai.

Les grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes? – Titiou Lecoq

Un récit historique c’est un choix. Michelle Perrot (Préface de l’ouvrage)

Il était une fois… Les femmes. Celles qui ne représentent rien de moins que… la moitié de l’humanité.

Il était une fois… L’Histoire. La Grande. La fameuse-qu’-on-écrit-même-avec-un-grand-H. Celle enseignée, celle aseptisée, simplifiée, celle de la mise en lumière et celle des zones d’ombres. Vous devinerez aisément quelle catégorie accorde une large place à celles que l’on relègue avec une facilité déconcertante aux coulisses, à l’oubli.

C’est maintenant, à l’âge adulte, que je réalise la tromperie dont j’ai été victime sur les bancs de l’école. La relégation de mes ancêtres femmes me met en colère. Elles méritent mieux. Notre histoire commune est beaucoup plus vaste que celle que l’on nous a apprise.

Face à ce constat consternant, Titiou Lecoq s’empare de ce scandale – n’ayons pas peur des mots – et nous entraîne de la Préhistoire à nos jours pour un état des lieux de l’absence / la présence féminine dans l’Histoire du monde. En s’appuyant sur ses lectures de nombreux travaux de recherche, elle tente de redonner aux femmes la place légitime qu’on leur a allégrement refusée . Le projet, louable et ambitieux, fait ainsi face à une réalité ô combien révoltante. Tant de parcours mis de côté au profit de ceux qu’on appelle – en toute humilité – Les Grands Hommes.

L’inconscient collectif est une puissante machine performative qui reproduit ses attendus. Pour que les choses changent, il faut bousculer nos représentations, redécouvrir celles qui ont créé, inventé, découvert, lutté.

Si tous les essais pouvaient avoir la liberté de ton de celui de Titiou Lecoq, je pense sans aucun doute qu’ils seraient plus nombreux sur mes étagères. Voilà des pages qui se dévorent et qui désolent. Être femme, c’est exister dans un espace bien défini qui laisse peu de places aux pas de côté. Dans cet ouvrage absolument passionnant, tant de noms inconnus qui n’auraient jamais dû l’être. Tant d’anonymes qui auraient mérité – au delà de l’intérêt et de l’admiration – une place dans les manuels scolaires. (Qu’ils soit historiques, littéraires ou scientifiques…)

Pourquoi a-t-on l’impression qu’introduire les femmes en histoire serait une décision politique alors que c’est les avoir exclues qui était réellement politique ? Un travail d’homme qui reconduit la domination masculine passe rarement pour militant et ne s’affirme quasi jamais comme tel.

La pensée de Titou Lecoq ne se contente pas de mener une réflexion sur les déséquilibres criants dans le traitement des faits historiques, elle glisse au fil des pages les références d’un grand nombre d’ouvrages, de titres qui ont nourri son travail et la rédaction de cet essai. (Une bibliographie finale aurait été la bienvenue bien que les pages cornées aient fait l’affaire.) Passages-claques, extraits à gerber, incohérence d’un monde masculin qui nie le féminin aux cœur même de sa langue, efface ses autrices, ses peintres, ses penseuses engagées… Ce livre est un tremplin conduisant à nous interroger – à notre tour – sur les fondements mêmes de notre éducation.

Ceux qui pensent que changer les programmes scolaires est encore une lubie de féministes hystériques, ceux-là ne se sont jamais demandé ce que signifie de grandir avec une Histoire dont nos semblables sont exclues. Qu’est-ce que, petite fille, on perçoit quand on ne nous raconte que l’histoire des hommes ?

Déstabilisant, ce titre laisse surgir un certain malaise qui devient colère. Il questionne, met les contenus de nos enseignements sur le grill et nous renvoie aussi à nos propres oublis. La vraie erreur, serait de s’arrêter à ce constat effarant et de se contenter d’encenser ces pages édifiantes. Le vrai progrès appelle ici un changement radical, une vraie démarche de visibilisation: enseignant·es, endoctrineur·ses, chercheur·ses, éditeur·trices, passeur·s culturel·les: à nous, à eux/elles de poursuivre l’entreprise fabuleuse menée par Titiou Lecoq et bien d’autres en sortant ces grands noms de l’oubli et en mettant fin à cette regrettable et honteuse supercherie.

Savoir quelles histoires ont disparu est aussi intéressant que de connaître celles qui ont survécu.

Échos et prolongements :

  • Les Culottées de Pénélope Bagieu (Encore et toujours)
  • L’émission « Être et savoir » sur France Culture consacrée à ce vaste sujet. (Ici)
  • Le Podcast de La Grande Librairie avec Titiou Lecoq et d’autres autrices.
  • Les grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a oublié les femmes ?Titiou Lecoq
  • Futur·es – Lauren Bastide
  • Rage against the machisme – Mathilde Larrère
  • L’Origine du monde Liv Strömquist
  • Les Sentiments du Prince Charles – Liv Strömquist
  • La Rose la plus rouge s’épanouitLiv Strömquist
  • Dans le palais des miroirs – Liv Strömquist
Les grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes?
de Titiou Lecoq
Éditions L’Iconoclaste
 20.90 € /  326 pages / 2021
Société / Histoire / Féminisme / S’essayer à l’essai

34 réflexions au sujet de « Les grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes? – Titiou Lecoq »

  1. Une révolution des programmes, oui !
    Après ma lecture, j’ai eu un petit échange avec un de mes profs de secondaire avec lequel je suis restée en contact et il se désolait déjà, à l’époque il y a 15-20 ans, que les programmes d’histoire étaient biaisés et ne reflétaient pas le monde. ( Il parlait aussi du colonialisme, presque inexistant dans nos programmes belges…)
    Titiou m’a bousculée et depuis, je suis extrêmement attentive à ce que je donne à lire à mes apprenantes adultes. Même si je n’enseigne pas le cours d’histoire, je me permets de leur proposer des textes où il y a des noms oubliés (censurés) , des portraits etc.. Et ce livre + mes Culottées adorées sont parfaits.

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    1. Voilà un avant-gardiste comme il en faut encore et encore.
      Ce livre bouscule, comme je suis d’accord. J’ai depuis un moment changé aussi bien des choses en profondeur dans mon travail de transmission. Cela demande de se renouveler, de lire beaucoup, de rechercher. Mais c’est aussi ce qui me plaît dans ce métier. Follement.

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      1. Je change aussi ma façon d’enseigner mais avec des adultes le travail est parfois plus compliqué… Elles ( majorité de femmes) ont été élevées et élèvent leurs enfants dans ce même système sans l’interroger ( parce que pas les ressources, pas l’espace disponible..).

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  2. Merci pour ton avis sur ce livre qu’il faut absolument que je prenne le temps de lire et de partager autour de moi, parce que je suis lasse d’être entourée de personnes, hommes comme femmes, qui nient complètement les injustices actuelles et les oublis de l’Histoire dont sont victimes les femmes.

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    1. Merci de prendre le temps de venir le lire ici. Quant aux entourages qui colportent ce genre d’inepties, j’ai fait le choix de m’en éloigner totalement tant je les considère comme toxiques. Et quand quelques proches manquent encore clairement de discernement ou de bon sens, j’essaie juste de convoquer ces grandes dames pour faire sauter les œillères. Si cela reste lettre morte, je les laisse croupir dans leurs contradictions… Mais c’est un combat long et complexe, je te l’accorde.

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  3. Attention, tu vas te retrouver en une du F. comme figure de prou des endoctrineuses ! 😉
    Mais tu as tout à fait raison pour que les choses changent, il faut que cela passe également pas les programmes d’enseignement. Je ne connais pas la marge de manœuvre des profs, à ce niveau-là (surtout que cela ne doit pas être pareil entre la France et la Belgique).

    Rolalala, plus je lis/entends parler de ce livre, plus il me fait de l’œil.
    J’ai récemment lu son livre sur la charge domestique et beaucoup aimé sa manière d’écrire.
    La liste au Père Noël va déborder cette année ! 😀

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    1. Ahahah. La fierté (et surtout mon majeur bien dressé.)
      Je me sens très libre de mon côté dans la mesure où je n’ai pas de dépendance face aux manuels scolaires que je n’ai jamais utilisés. Mais il est vrai qu’on manque de fond. J’intègre de plus en plus de femmes à mes choix de textes, essaie de systématiser le masculin et le féminin à l’oral comme à l’écrit. (Cela me paraissait inutile avant, pensant que d’autres combats étaient à mener. J’ai totalement changé d’avis depuis.) Il y a beaucoup à faire, mais j’aime beaucoup entendre mes élèves aussi changer face à tout cela…
      Quant au livre, je te souhaite de le lire et de l’aimer. Et de l’offrir. Et de le faire lire… Go go go le Père Noël, il va falloir dévaliser les librairies…

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  4. J’ai beaucoup aimé sa prise de parole lors d’une Grande Librairie récente, on ressentait à la fois la force de ses arguments et exemples (nombreux). Je ne lis que des avis positifs sur ce livre et je pense qu’un jour il passera d’une manière ou d’une autre entre mes mains….. Je me suis aperçue que la lecture d’un essai (chose que je fais que très rarement) pouvait être fluide, agréable suivant l’auteure (Je parle de Chez moi de Mona Chollet) et surtout très instructif en particulier dans des détails que nous ne voyons pas toujours ou connaissances que nous n’avons pas (heureusement il nous en reste à découvrir)….. 🙂

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    1. Je suis justement en train d’écouter l’émission pour prolonger ma lecture. Le propos de Michelle Perrot est également très intéressant. (J’adore ma matinée !) Comme toi, je me rends compte du plaisir à lire un essai. Entre celui de Claire Marin sur les ruptures et cet ouvrage de Titiou, je commence à dépasser mes appréhensions sur le genre. (Et l’ouvrage de Mona Chollet que tu cites me fait aussi diablement envie.)

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  5. j’apprécie beaucoup le travail de TItiou Lecoq que j’avais découverte avec son excellente bio de Balzac. Je compte bien me procurer ce livre-ci! je l’avais vue à l’émission de F5 avec Michèle Perrot, passionnant!

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  6. le billet est tout aussi intéressant que les nombreux commentaires, je sais à qui je vais offrir ce livre si elle ne l’a pas déjà . Il nous reste donc bien du chemin à faire pour que notre regard change.

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