Le Colibri – Elisa Shua Dusapin & Hélène Becquelin

T’as les yeux qui pleuvent.

Alors qu’il vient tout juste de poser ses cartons dans une nouvelle chambre, Célestin trouve refuge sur le toit du grand immeuble dans lequel il vit désormais. Sur les hauteurs, le lieu semble parfait pour renouer avec les bruits du monde. Il faut bien admettre que sa maison est bien silencieuse et que ses parents sont très avares de mots et de discussions enjouées. Et puis, cet endroit semble parfait pour retrouver son frère, explorateur ailé qui parcourt le monde et s’offre de temps à autre quelques escales auprès de lui pour lui raconter ses folles aventures.

Quand on grandit,
quand on déménage,
quand on tombe amoureux,
quand les plaies se referment,
quand les ailes se déploient.

Juste en face, un nouveau visage l’interpelle. Une voisine plutôt curieuse et loquace qui s’intéresse très vite à ce jeune garçon des toits. Très vite, Lotte traversera la rue pour partager quelques petits plats à grignoter et quelques anecdotes scellant les prémices d’une amitié qui aura tout pour être forte. L’occasion de comprendre, à demi-mot, que malgré leur jeune âge, le monde des adultes – et la vie de manière plus générale – ne les a pas toujours épargné·es.

-T’habitais où avant ?
– Au bord de la mer.

Cette amitié nouvelle se cristallise autour d’une étonnante trouvaille… Entre deux voyages, le frère de Célestin lui a déposé un petit colibri. Dans une phase de sommeil entre hibernation et torpeur, le petit oiseau coloré semble bien loin de la vivacité que l’on espère de l’animal. Lotte et Célestin attendent alors, jour après jour, son réveil comme on observe un bourgeon éclore. Mais le temps presse et la patience ne semble pas être de mise. Lotte devra partir, et jamais la fin de l’été n’aura tant eu le goût de tristesse dans la perspective de ce départ prématuré.

Si Le Colibri a attiré mon attention, c’est avant tout parce qu’il est signé de la plume de la romancière Elisa Shua Dusapin, dont j’avais adoré les romans poétiques et hors du temps. Sous une plume contrainte à la concision qu’impose l’art des bulles, nous retrouvons pourtant cet art si délicat de suggérer et de dire avec une douceur infinie ce lien qui permet à deux inconnus de se regarder autrement. Dans ces pages, c’est toute la beauté fragile et tâtonnante de l’adolescence qui s’écrit. Elle y dit l’amitié en devenir, le désir amoureux qui nait dans la timidité et la pudeur.

Chaque coquillage a sa mélodie.

Le récit de cette rencontre s’ancre dans une atmosphère réaliste qui laisse progressivement se déployer un univers qui ne boude pas la magie de l’onirisme poétique. Hélène Becquelin opte pour le choix d’un gris plein de nuances qui se marie à merveille avec la mélancolie latente des personnages. Et quelle n’est pas notre surprise lorsque la couleur s’invite dans les planches et s’autorise quelques surgissements lumineux en totale adéquation avec l’évolution de l’histoire. Une parenthèse raffinée dans laquelle l’imaginaire s’offre une place de choix, celle d’apprendre à vivre sans l’autre, d’aider à grandir quand le monde des adultes n’est pas toujours à la hauteur des douleurs silencieuses.

Tu me dis que tu pars, pis tu reviens…
Tu peux pas faire ça !

• Élisa Shua Dusapin au milieu des livres : Hiver à Sokcho / Les Billes du Pachinko
• Pour les amoureux·ses des notes, cet album peut aussi s’écouter avec un accompagnement musical. (Un code est à flasher au début du livre.)

Le Colibri– Elisa Shua Dusapin, Hélène Becquelin, Christophe Sturzenegger (Musique) Éditions La Joie de lire – Collection Somnambule 22,90€ / 160 pages / 2022 BD de la semaine / 9e Art

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Et ce mercredi, les chroniques de la BD de la semaine sont chez Stephie

Rendez-vous mercredi prochain chez Noukette
pour des bulles exclusivement féminines et/ou féministes !