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Soixante printemps en hiver – Aimée de Jongh & Ingrid Chabbert

Toute la famille est là: enfants et petits-enfants  réunis. Dans le salon, ça s’affaire, ça bavasse, ça crie. Symphonie désaccordée et chaos bruyant d’une scène de repas de famille ordinaire dans ce théâtre bancal du vivre ensemble. Personne n’a vu. Personne n’a ressenti le hurlement sourd qui gronde en elle, la célébrée du jour, captive d’une mécanique familiale qui l’étouffe plus qu’elle ne l’épanouit. Alors, quand le gâteau s’approche de la table, elle annonce qu’elle se lève et se casse s’en va.

On est toutes passées par là. Un jour, un matin ou un soir, on s’est fait la belle.

Si l’on pense à un coup de folie, à une impulsion inexplicable, nous savons dès les premières planches que cette envie de tout envoyer valser est bien préméditée. Pars ou crève, reste et oublie-toi. Pour Josy, il est temps de se choisir quitte à passer pour celle qui déserte dans la plus grande infamie.

– Quand les vieux maris quittent leur femme, on les comprend, on leur trouve toutes sortes d’excuses. Mais quand ce sont les femmes…
– Nous sommes les sorcières qui broient les cœurs et brisent les familles..

Alors que le moteur de son vieux van ronronne et toussote en quittant le garage, elle acte sa renaissance l’esprit allégé par cette décision salvatrice en fredonnant un air de Bashung. Dans son nouveau chez elle un peu poussiéreux, une nouvelle vie pleine de rencontres s’offre à elle. Sur sa route, des femmes. Des femmes qui ont toutes à leur manière, avec plus ou moins de succès, pris d’autres chemins que ceux d’une vie un peu trop rangée. Sur sa route, des rencontres aussi étonnantes que bouleversantes, qui viendront (r)éveiller en elle des envies insoupçonnées, des forces vives qu’elle avait étouffées.

Si on pouvait prévoir, que ferait-on réellement ? Est-ce qu’on vivrait pleinement ? Est-ce qu’on franchirait des ponts sans se soucier de l’autre côté ?

Nous sommes celles qui ont dit stop, nous sommes celles qui ont quitté et n’ont pas attendu de l’être.

C’est un très beau duo qui signe cet album et nous conte les destins de femmes décidant un jour de donner à leur vie un souffle inattendu, refusant de rester dans la case que la vie et la société leur assignent. Comme souvent, Ingrid Chabbert frappe juste en nous offrant un scénario qui ne se veut pas toujours léger et qui pourtant libère, pousse à se délester de ces chaînes invisibles qui contraignent au quotidien. Si la dimension plus dramatique m’a peut-être moins convaincue, j’ai aimé suivre les cheminements d’une héroïne de cet âge – si peu représentée dans la littérature ou le 9e Art – qui aura beaucoup à apprendre des errances et tâtonnements qui ponctueront cette vie d’après.

Écoute, je sais que le chagrin, c’est plus supportable les portes fermées, mais je suis là, près de toi.

Dans un album qui n’hésite pas à rompre avec l’image consensuelle des vies étriquées, Ingrid Chabbert et Aimée de Jongh nous livrent un récit qui clame combien les grands choix qui jalonnent nos existences valent souvent la peine d’être faits. Après ma lecture de Jours de sable, c’est un réel plaisir de retrouver le trait d’Aimée de Jongh et sa douce palette hivernale qui ne cesse de m’enchanter. Des soirs gris et neigeux aux aubes flamboyantes et rosées l’on savoure chaque planche au fil d’un album qui se veut profondément cinématographique. Une très belle lecture en ce début d’automne. (Merci Sarah pour ces bulles glissées dans mon casier. ♥)

Soixante printemps en hiver – Aimée de Jongh & Ingrid Chabbert
Éditions Dupuis – Collection Aire Libre
25 € /  120 pages / 2022
BD de la semaine / Women Do BD / 9e Art

BO des pages tournées : La nuit je mens – Bashung

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Et ce mercredi, les chroniques de la BD de la semaine
sont au milieu des livres

Merci celles qui font vivre ces RDV du mercredi.

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Eimelle                      Gambadou                       Mylène                      Antigone 

Nath                         Pati                       Blandine                 Natiora                   Fanny

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