Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Littérature contemporaine

Des diables et des saints – Jean-Baptiste Andrea

Elle n’intéresse personne, l’humanité des petits pas.

Il suffit parfois d’une tragédie pour provoquer des rencontres inattendues. Sans son drame familial, Joseph n’aurait peut-être jamais mis les pieds dans ce hall de gare et ne laisserait pas magistralement glisser ses mains sur les touches noires et blanches des pianos publics. Sans ce jour maudit, l’histoire qu’il s’apprête à nous livrer n’aurait eu aucune raison d’être.

Je fis ce qu’on fait d’un conseil à quinze ans, surtout lorsqu’il est bon: je l’ignorai.

Un plongeon dans le passé du narrateur et nous poussons alors les portes d’une institution catholique aux méthodes douteuses et ancestrales. Il faut dire que l’orphelinat Les Confins porte atrocement bien son nom. C’est dans ce lieu clos, sans perspective d’ailleurs, que vont cohabiter Joseph (Joe), Momo, Fouine, Souzix, et Edison. Des gamins qui n’ont leur place nulle part et qui devront à leur manière trouver la leur là où ils n’intéressent personne. Dans les couloirs du pensionnat dirigé par le perfide abbé Sénac et son cruel sbire Grenouille, la violence des autres est constante et cette jungle sociale voit se jouer bien des luttes d’influence et de pouvoir. 

Je n’ai pas de sympathie pour le diable, mais j’ai de la compassion pour lui.

Malgré tout, et puisqu’il ne leur reste que leur amitié à offrir, ces jeunes garçons vont s’apprivoiser et apprendre à surmonter un quotidien fait de rigueur et d’intolérance. Jusqu’au jour où Rose fait son apparition. Rose la privilégiée, Rose l’impertinence incarnée. Rose la seule adversaire habile en joutes verbales, experte en remarques acerbes, inégalable en matière de condescendance. L’oiseau rare qu’on croit libre mais qui se sent juste tout aussi à l’étroit dans une plus grande cage.

« Chacun pour soi » n’était pas une devise égoïste. C’était une façon de dire, quand plus rien n’importait, que nous importions.

C’est le premier roman de Jean-Baptiste Andréa que je lis et il comptera – je crois – parmi mes jolies lectures estivales. Roman de l’enfance perdue et de l’adolescence à la dérive, ce récit peut s’enorgueillir de superbes pages aux tonalités qui rappellent les romans de Romain Gary. Ce titre est un beau texte sur l’amitié, l’espoir, l’envie insatiable et furieuse d’arracher sa liberté à tout prix. La plume de l’auteur sert un récit cinématographique bercé par les obsédantes mélodies de Beethoven et c’est avec un plaisir certain que j’ai tourné les pages de ce roman. À travers le narrateur, touchant dans le regard d’adulte qu’il porte sur les traumatismes qui vous arrachent au monde de l’enfance, s’écrit en filigrane la leçon délivrée au fil de ce roman d’apprentissage charmant: si le diable se cache dans les détails, n’oublions jamais que les saints ne sont pas toujours ceux que l’on imagine.

– Parce que tu as déjà fait semblant toi?
– À longueur de journée Je fais tellement semblant que même maintenant, je fais semblant.

Jean Baptiste Andrea au milieu des livres

Ma Reine / Cent millions d’années et un jour / Veiller sur elle (RL 2023)

BO des pages tournées : ExperienceLudovico Einaudi

Des diables et des saints – Jean-Baptiste Andrea
Éditions
L’Iconoclaste
 19€ / 361 pages / 2021
Littérature contemporaine / Et mon cœur fait boum / Prix littéraires / En sortir 22 en 2022

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