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Jeanne Hébuterne – Nadine Van Der Straeten

Peindre, c’est désirer. Rien d’autre. Tout le reste n’est que vanité intellectuelle.

Alors que Jeanne n’est encore qu’une jeune étudiante dans le Paris qui bouillonne, son chemin croise Amedeo Modigliani. La jeune artiste est loin d’être naïve et la réputation de l’artiste le précède. Ainsi, lorsqu’il lui propose de poser pour lui, elle accepte en ironisant sur son goût pour les jupons retroussés. La passion amoureuse les saisit avec toute l’intensité qui les caractérise et le couple semble inséparable. Les jours sont consacrés à la peinture, les soirs sont fait de rencontres, de retrouvailles dans les troquets avec toute la joyeuse clique des artistes qui ont marqué le siècle de leur plume ou de leurs pinceaux. Les nuits, quant à elles, laissent place aux corps dénudés, aux caresses et baisers qui assouvissent le puissant désir qui les lie. Des draps froissés aux toiles à noircir, l’alliance du charismatique Modigliani et de la ténébreuse Jeanne Hébuterne a le goût de l’idéal.

Tu me reproches sans cesse de ne plus te parler… Mais comment veux-tu que je te dise que je sens, jour après jour, la vie s’échapper de toi? Je vois bien que tu ne fais rien pour la retenir, pour rester avec moi.

Hélas, les failles invisibles prennent de l’ampleur à mesure que les fragilités du couple voient le jour. Modigliani se noie régulièrement dans l’alcool et son esprit tourmenté par des démons indomptables (encore un !) l’éloigne peu à peu de celle qui s’éteint à petit feu face au monstre sacré. Elle est pourtant celle avec qui il partage son cheminement artistique, celle qui le soutient et le porte en toute discrétion dans l’ombre de son atelier et sur les rues pavées témoins de ses frasques pathétiques.

Au diable les vies tièdes, sans odeurs et sans saveurs, emporte-moi Amedeo, je veux appartenir à ton génie.

Si j’aime à la folie les tableaux de Modigliani, il est incontestable que le peintre perd de sa superbe et de son panache entre ces pages. Figure de l’artiste maudit et en quête d’une reconnaissance artistique digne de ses ambitions et de l’idée qu’il se fait de l’art, il est ici et surtout un homme sous l’emprise de ses pulsions et passions qui lui font saccager sa plus belle alliée et plus grande force. Odieux, orgueilleux et puant, Modigliani n’est plus qu’accès de colère et ses excès alcoolisés le rendent bien petit face à la grandeur de Jeanne Hébuterne qu’il détruit de manière lente et insidieuse.

Est-ce que l’hiver est sur nous ma Jeannette ? Qu’est-ce qui nous ronge?

J’ai découvert cette artiste en lisant le roman d’Olivia Elkaïm qui m’avait profondément remuée. Quelle femme que cette Jeanne qui a étouffé son talent et consacré sa courte vie à l’homme qu’elle aimait d’un amour fou. Un destin qui ne laissait aucune place à la lumière et que Nadine Van Der Straeten nous relate au cœur de ses planches en noir et blanc, parfait écho contrasté de ces deux personnages que tout finira par opposer. Le scénario se déroule ainsi dans une langue particulièrement soignée, littéraire à souhait, ponctuée de vers de Baudelaire ou de Lautréamont. Une BD très début XXe que j’ai lue avec le plaisir fou de celle qui aime ce Paris artistique assurément autant que l’héroïne sacrifiée de cet album.

J’avais pourtant tissé l’illusion
Patiemment,
Pour tâcher d’empêcher cette bulle opiacée:
La douceur de ton nom…

Échos et prolongements

Jeanne Hébuterne – Nadine van der Straeten
Éditions Tartamudo
22€ / 138 pages / 2017
BD de la semaine / Des autrices ! / Mars au féminin

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Et ce mercredi, les chroniques de la BD de la semaine sont au milieu des livres.

Mars au féminin

Rendez-vous mercredi prochain chez Noukette !

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Eimelle                        Pati                     Gambadou                       Enna

Sabine                      Natiora                      Fanny                     Blandine

Mylène                    Hilde                     Caro                  Maël

13 réflexions au sujet de « Jeanne Hébuterne – Nadine Van Der Straeten »

  1. Immensément tentée ! Je ne connais rien de Modigliani en tant qu’homme et ça n’a pas l’air bien joli mais tant pis pour son image écornée, l’histoire de Jeanne m’intéresse énormément.

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  2. Une BD intéressante sans aucun doute et bien sombre jusque dans les couleurs. J’ai bien les dessins en noir et blanc, ça ne me dérange pas. Les artistes maudits et leurs démons, sacret sujet ! Les odeurs interfèrent souvent pendant ce genre de lectures. J’ai le souvenir marquant d’un roman sur Paul Verlaine qui m’avait presque un peu brassée l’estomac. En tout cas, c’est une époque que j’aime aussi et qui me fait repenser au film « Minuit à Paris ».

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