Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Les classiques c'est fantastique

La Bête humaine – Émile Zola

À nous deux Jacques Lantier !

Autant dire que le premier chapitre donne le ton puisque nous assistons à une scène de violence conjugale cristallisant à elle seule toute la brutalité du roman qui ne demande qu’à s’exprimer. Dès lors, nous entrons dans l’ère du soupçon et du crime qui gangrènera ces pages faites de jalousies et de trahisons. Les personnages zoliens s’aiment assurément très mal et souvent pour les mauvaises raisons; l’unique échappatoire étant de se débarrasser avec plus ou moins de discrétion de l’être qui dérange. Un homme empoisonne à petit feu sa femme pour un héritage, un couple scelle le destin d’un homme encombrant d’un coup de couteau… Ce microcosme du milieu ferroviaire qui baigne dans le vice ne serait-il pas le terreau fertile parfait pour Jacques Lantier, fils de Gervaise Macquart?

La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien cette fêlure héréditaire : non pas qu’il fut d’une santé mauvaise, car l’appréhension et la honte de ses crises l’avaient seules maigri autrefois : mais c’étaient, dans son être, de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d’une sorte de grande fumée qui déformait tout. Il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée.

Avec une telle parenté, nous savons d’ores et déjà qu’il portera en lui certains instincts abjects difficiles à maîtriser. Ainsi a-t-il sa place au sein de ce monde qui se complaît dans le crime qui profite aux assassins. Sa tare ? Son obsession pour le sang quand une femme s’abandonne entre ses mains. Tentant par tous les moyens de ne pas réveiller le monstre qui sommeille en lui, il se consacre avec passion à La Lison, sa locomotive qui le fascine et le détourne de ses sordides pulsions meurtrières. Hélas, hors des rails et du train qui file droit, difficile d’étouffer ses lubies en les noyant aveuglément sous le charbon ardent… La Lison ne serait-elle pas alors le double de celui qui la chérit tant, à savoir une bête dont la mécanique intérieure semble naïvement domptée ?

On va vite, on est plus savant… Mais les bêtes sauvages restent des bêtes sauvages, et on aura beau inventer des mécaniques meilleures encore, il y aura quand même des bêtes sauvages dessous.

Vapeurs de polar

Et ça passait, ça passait, mécanique, triomphal, allant à l’avenir avec une rectitude mécanique, dans l’ignorance volontaire de ce qu’il restait de l’homme, aux deux bords, cachés et toujours vivaces, l’éternelle passion et l’éternel crime.

Encore une fois, Zola frappe fort. Il cible avec justesse les faiblesses humaines et toute la complexité des rapports malsains qui les nourrissent. Je referme chaque livre en criant au génie et en aimant follement cette façon si puissante d’entremêler ses intrigues. Avec ce roman, le monde ouvrier se dévoile entre rails et gares et sert de toile de fond à des histoires de violences, de crimes mesquins, de tromperies et duperies vénales. L’appétit vorace et coupable des Macquart inonde le roman et l’on sent que cette férocité pulsionnelle n’apportera rien de bon. Cette branche pourrie de la généalogie familiale ne laisse aucune place à un avenir salvateur. Jacques Lantier porte le poids des générations antérieures, soumis à l’écoute d’une voix intérieure qui se veut trop puissante pour être ignorée.

À quoi bon dire la vérité puisque c’était le mensonge qui était logique?

La Bête humaine change radicalement de ton après Le Rêve et ses retenues pudiques. On retrouve ici toute la noirceur zolienne qui dépeint ses personnages comme des marionnettes à la merci de leur fatale bestialité. En plus d’étoffer sa peinture sociale qui n’épargne ni les pauvres, ni la grande bourgeoisie qui les écrase, l’on sent poindre une satire acide et acerbe de la justice qui se veut bien ridicule dans sa précipitation et qui ne laisse que peu de place à la réflexion objective. Prenant le lectorat à témoin, sa plume joue la carte de la critique sociale au milieu d’un chaos général incroyablement orchestré qui fait de ce roman un titre haletant à souhait, grisant comme un train lancé à vive allure.

Mon prochain rendez-vous zolien : L’Argent (Dans l’édition préfacée par mon ancien professeur – graoulala !!! – de littérature du XIXe)

La Bête humaine – Émile Zola (17e tome)
Éditions Gallimard – Collection
Folio classique
7,40 € / 512 pages / 1890

Les Rougon-Macquart / Les classiques c’est fantastique / Lire le monde ouvrier et les mondes du travail

 

8 réflexions au sujet de « La Bête humaine – Émile Zola »

  1. Moi qui ai acheté ce titre récemment, en même temps que germinal, je réalise que j’aurais dû lire celui-ci en premier, quelle truffe !! … Je ne savais même pas qu’il mettait en scène Etienne Lantier. Bon, ce n’est pas très grave, je vois en tous cas qu’eil s’agit encore là d’un excellent moment de lecture en perspective. Et merci pour cette nouvelle participation !

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