Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Rentrée littéraire

La Langue des choses cachées – Cécile Coulon

L’héritage maternel

Vous allez  vivre et vous aurez encore du chagrin.

Il est Le Fils et c’est en fils qu’il a reçu de sa mère le secret de la langue des choses cachées. Héritier d’une magie qui n’appartient qu’à sa lignée, il n’a d’autre destinée que celle de reprendre un flambeau invisible qui ne saurait s’éteindre. À son tour d’aller de village en village, d’une contrée à l’autre, de regagner les foyers froids et fébriles de celles et ceux qui l’appellent de leurs vœux comme ultime gage d’un espoir de vie. Pour lui, la règle est aussi simple qu’elle est claire: ne jamais se détourner d’une mission à accomplir et ne se consacrer qu’à elle.

Il égalise les peines et les soupçons. C’est là son pouvoir : harmoniser la cruauté.

Ce soir-là, c’est dans le hameau Le Fond du puits qu’il doit se rendre. Un enfant malade et une vie en suspens. C’est aussi ce soir-là que tout bascule puisqu’il désobéira aux recommandations maternelles, intimement persuadé qu’il se doit de suivre une autre voie.

Un conte sombre et cruel

Dans ce monde pétri de traditions et soumis à la violence des hommes, un fils devient à son tour homme en s’affranchissant des lois qui dictent sa conduite. À la clé et entre ses mains de marionnettiste, l’ordre du monde et le sens de la justice à rétablir pour que la vie retrouve de ce qu’il faut de beau face au cruel. Ce court texte de Cécile Coulon est un roman-conte qui s’empare des transgressions, de l’abject et de l’horreur qu’on inflige aux corps dans une toute puissance aveuglante et intolérable. Sa lecture est aussi troublante que le sujet qu’il aborde et chaque page, nimbée d’une poésie constitutive de la plume de l’autrice, offre à son phrasé une furieuse puissance incantatoire.

– Vous avez mal de chagrin. C’est la vraie douleur. Elle acquiesça et soudain elle eut l’air d’une petite fille à qui l’on permet de rater la classe. La mère avança la main: oui, c’était du chagrin lourd comme une deuxième vie qu’on sait vouée au drame, aux questions sans réponses car les réponses seraient si dures à attendre qu’on préfèrerait se crever les oreilles plutôt que de savoir d’où l’on vient.

L’autrice nous livre une histoire dépossédée de ses ancrages narratifs traditionnels. Au diable les nom des êtres, oubliée la géographie, vague et floue soit l’époque. Ne comptent que les faits, et ce goût sensible de la jeunesse pour la désobéissance. Lu d’une traite, ce roman ne lésine pas sur sa part de mystère qui peut rendre le récit opaque et déstabilisant dans un premier temps. Mais à mesure que l’on pénètre dans cet univers qui révèle l’immonde et la fureur, ce livre devient un feu puissant, dont la lumière sombre ouvre les yeux, éveille les consciences, ravive les colères et les rages intestines silencieuses qui ne sauraient laisser les crimes impunis. Dans l’antre d’une vie souillée seul le pouvoir de l’écoute attentive, des mots de la langue cachée et des gestes salvateurs rachète ce que la mémoire douloureuse cherche trop souvent à étouffer. Un texte fort et diablement beau qui rappelle que l’immuable, malgré toute sa puissance, n’a jamais rien de totalement acquis.

La Langue des choses cachées – Cécile Coulon
Éditions L’Iconoclaste
 17.90 € / 134 pages / 2024
Littérature française /Rentrée littéraire  janvier 2024 / Et mon cœur fait boum

9 réflexions au sujet de « La Langue des choses cachées – Cécile Coulon »

  1. Elle est passée à la grande librairie la semaine dernière, y a évoqué ce titre, et j’avoue avoir été intriguée (elle en a lu le début, qui laisse en effet soupçonner une langue éloquente et originale). Je n’ai pas encore lu cette auteure, mais j’ai Le roi n’a pas sommeil sur ma pile depuis un moment alors je serai raisonnable je commencerai d’abord par celui-là..

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  2. Je ne suis pas convaincue par les romans de Cécile Coulon, sa poésie me séduit davantage. Mais ce titre me donne envie de retenter le coup, surtout après avoir lu ton billet. En plus j’aime bien ces atmosphères à la Philippe Claudel, on ne sait pas trop où, on ne sait pas trop quand… Je ne l’achèterai pas mais je l’emprunterai sans doute à la médiathèque.

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  3. J’ai vu aussi l’autrice présenter son livre à La Grande Librairie. Ma curiosité a été tout de suite piquée. D’ailleurs, ce livre se retrouve dans mon panier virtuel pour mon prochain achat. Ta chronique me donne le goût de le lire tout de suite!

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  4. je viens de le finir , je n’ai absolument pas adhéré à son parti pris de style cela se veut poétique mais pour moi c’est parfois ridicule.

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