Elle l’avait voulu cet enfant, elle le prenait tout entier. Elle sait que je l’aime même si je ne le regarde plus dormir, je l’aime de loin. Je l’aime d’un regard, et puis c’est bon.
Liam est l’homme taiseux des montagnes. Ses heures n’ont pas le rythme des nôtres, ses passe-temps se résument au plaisir silencieux de la traque et au bruit percutant du fusil qui abat le corps chaud du gibier en sursis. Au cœur de sa montagne, la vie ressemble à celle d’une époque qui nous semble révolue. À ses côtés vit Ava, la femme qui n’a pas eu peur de ses silences et de la frugalité des jours loin du monde en ébullition. Et si Aru est né de cette union, la paternité n’est qu’une notion abstraite et floue pour Liam qui fait comme il peut avec cet enfant sans pour autant cacher que la vie sans lui aurait été préférable. Il faut bien admettre que leur quotidien n’a pas le charme qu’on lui prête. Là-haut, tout s’anticipe d’une saison à l’autre pour s’offrir la certitude d’être vivant quand reviendra le printemps.
Il y a toujours quelque chose qu’on ne prévoit pas, quelque chose qui semble impossible et puis ça arrive. Ces choses impossibles, c’est une suite de coïncidences qui individuellement ne représentent aucun danger, pourtant, mises bout à bout, ça fait une chaîne et à la fin il y a une catastrophe.
Après un jeu de chat et de souris avec un loup errant, Liam rentre chez lui et trouve le corps ensanglanté de sa compagne. Les chairs lacérées, elle s’est sacrifiée pour protéger son fils niché contre son corps à vif. Désormais, ils seront deux dans la maison des montagnes et face à sa douleur froide et muette, Liam en vient à cette conclusion inconcevable: surmonter le deuil d’Ava semble possible mais assumer la charge d’Aru, son inconnu de cinq ans, le terrifie et a tout d’une charge insurmontable qui ne saurait être envisagée. Commence alors un périple au cœur d’une montagne hostile qui n’aura d’autre but que d’abandonner l’enfant qu’il peine tant à appeler son fils.
Soit je le laisse dans la nostalgie qui va lui coller à la peau toute sa vie, soit je prends une place à côté de lui et j’arrête juste d’être le gars qui tue des cerfs et qui n’est pas là.
Comme pour entretenir les contradictions, Sandrine Collette fait de son héros rustre et silencieux le narrateur de son roman. Nous prenons de plein fouet ses pensées et tergiversations – qui sont loin d’être optimistes – dans une langue à la syntaxe écorchée et cadencée. Sans pudeur ni honte, il livre son incapacité à être père et son rejet profond d’un enfant qui ne peut compter à ses yeux si Ava n’est plus de ce monde. Les mots sont souvent durs et à contre-courant de l’image que l’on véhicule sur la parentalité. Ici, l’enfant est l’étranger qui dérange, le poids qui pèse, l’incarnation d’une vie que l’on refuse de s’imposer, qu’importe la morale et le bon sens.
S’il perd du temps à regarder un papillon quand je l’envoie chercher de l’eau c’est qu’il est capable de poésie, cette poésie il la perdra bien assez vite tout seul, la vie s’en chargera et ce n’est pas la peine de l’engueuler.
Une fois de plus, Sandrine Collette expose ses personnages à de cruels dilemmes cornéliens. Dévoilant au fil des pages tout le cheminement intérieur du personnage, elle nous livre une histoire lente, ponctuée de quelques temps forts qui font sensation et marquent assurément les esprits. Néanmoins, l’évolution du père se fait sans grande surprise dans un texte cousu de fil blanc et là où l’autrice nous a parfois emmené·es sur des chemins périlleux faisant monter la pression et la tension psychologique, elle signe ici un roman à l’intrigue plus convenue et consensuelle. Le livre se lit d’une traite, l’ensemble paraît peut-être un poil précipité et aurait gagné en intensité en étant plus étoffé et assurément moins prévisible. (Lecteurs et lectrices impatient·es mais/et fauché·es, attendez peut-être la sortie en poche ou optez pour un passage à la médiathèque.)
Prolongements et échos littéraires :
- Grossir le ciel – Franck Bouysse
- Et toujours les forêts – Sandrine Collette ♥
On était des loups – Sandrine Collette Éditions JCLattès 19,90€ / 208 pages / 2023 Des autrices ! / Mars au féminin / Rentrée littéraire de septembre |
j’avais commencé Et toujours les forêts, et devant la noirceur (qui pourtant d’habitude ne me gêne pas) j’ai abandonné. Pas tentée du tout. tant mieux! 😉
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Alors c’est marrant mais c’est justement avec ce titre que j’ai découvert et aimé Sandrine Collette. Je trouve celui-ci moins percutant et plus « facile ».
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Une autrice que je compte bien découvrir un jour 🙂
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Ce n’est pas mon préféré d’elle mais je t’encourage à le faire.
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Outch ! Ton avis est mitigé ! De mon côté, j’ai absolument adoré. L’intrigue est cousue de fil blanc mais elle prend des détours et c’est là que j’ai aimé me faire peur. Quant aux sentiments de Liam, il a tellement raison. Un enfant c’est un poids, c’est une charge si lourde qui vient s’ajouter à sa peine et son deuil. Je trouve que certains passages tombent tellement juste !
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Autant je rejoins et partage totalement les sentiments et questionnements du personnages sur la paternité, sa charge et ses doutes, autant je trouve le reste d’une facilité que j’aurais aimé voir dépassée dans ce roman. Cette autrice est très forte pour jouer la carte de la surprise et de la tension narrative pourtant… Je préfère que l’on m’entraîne là où je ne m’attends pas à aller. Les détours que tu évoques n’ont malheureusement pas réussi à me convaincre. Tant pis, je verrai si d’autres titres d’elle me parlent plus que celui-ci.
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J’ai très envie d’en lire un autre, mais certains me semblent reprendre la même trame. Il faudra bien choisir 😆
Quand au récit attendue, j’avoue que j’espérais sans cesse qu’elle n’aille pas dans le sens qu’elle prend tout en espérant aussi qu’elle y aille pour que cela ne soit pas trop dur ou trop moche 🫣. Je me ramollis sans doute 😂
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pas certaine de m’y frotter . merci pour ce beau billet intéressant.
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OK, je te l’accorde, il a un petit côté prévisible. Mais il reste un roman fort sur une question que je n’aimerai pas me poser.
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J’adore Sandrine Collette en général mais là je suis passée à côté, trop redondant à mon goût et je me suis ennuyée.
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Avec Sandrine Collette c’est aléatoire, j’ai eu des coups de cœur et des déceptions. Ce titre m’attend, je l’ai eu à Noël. Il a tout pour me plaire a priori, j’espère accrocher 🙂
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