Au TOP !·Et mon coeur fait boum·L'Art du récit

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok – Michelle Lapierre-Dallaire

L’avertissement liminaire donne immédiatement le ton. Ce livre ne sera pas celui de la légèreté au regard des sujets qui y seront abordés. Commence alors le récit fragmenté d’une femme qui se définit elle-même comme souffrant de troubles de la personnalité dont nous découvrirons la teneur au fil du texte. L’immersion dans cette intimité-là est totale tant la voix qui le porte dévaste.

Parfois, la fermer est la seule façon de ne pas devenir une victime.

Entre ces pages, la construction d’un corps trop longtemps pris pour un terrain de jeu sans règle ni limite. Entre ces pages, l’odeur de la pisse, du foutre et de la cyprine, des corps qui suintent sans permission. Entre ces pages, l’amour qui peine à se frayer un chemin, à exister dans le marasme odieux de cette vie-là. Entre ces pages, l’enfant qu’on contraint, l’adolescente qu’on désire et possède, l’adulte qui cherche sa place dans un chaos intérieur sans le moindre répit. Comment aimer, désirer, jouir encore et assumer cette femme instable qu’elle est, façonnée par la violence sournoise des autres?

Il y a eu des moments précis où mes certitudes vacillaient. À l’époque, ça me fâchait parce que je me débrouillais pour survivre, pour devenir une adulte qui boit du vin en riant de ses traumas. Je ne voulais pas qu’on vienne ruiner mon plan.

Comme un cri du corps et une affirmation de sa liberté toute puissante, ses mots soigneusement aiguisés sont d’une beauté tranchante, au-delà des ravages qu’ils dépeignent. À travers une langue tourbillonnante qui sonne celles et ceux qui tiennent ces pages entre leurs mains, c’est le récit d’une résilience qui s’écrit. Portraits d’hommes à vomir, amoureux salvateur mais lâche (et marié), portrait d’une mère suicidaire (et suicidée) aimée au-delà de tous ses manquements et défaillances: ce livre électrise et bouscule furieusement.

Parce que si moi je suis une série de déferlantes qui attend de tout anéantir, ma mère, c’était un tsunami à elle seule.

Ce qui saisit le plus dans l’écriture de Michelle Lapierre-Dallaire est cette capacité à dire son monde avec une spontanéité sans fard: verbe en roue libre, déchaînement poétique du pire, fine analyse socio-psychologique, mots justes posés sur l’abject. Un monologue qui pourrait être flamboyant sur les planches d’un théâtre tant ses mots percutants prennent une ampleur nouvelle quand ils sont lus à voix haute.

Je ne suis pas douée pour écrire l’apaisement. Mon vocabulaire contient surtout des mots pour décrire des traumatismes, des miracles, des résurrections ou des catastrophes. Je manque de ressources pour parler en douceur, en langueur, en mots paisibles.

Rappelons de toute évidence que la véritable violence ne réside pourtant pas ici dans ses insolents mots crus, mais bel et bien dans le caractère terrifiant de ce que la narratrice a subi. Là est le véritable choc. Celui qu’elle nous sert entre ces pages qui griffent sans le moindre détour. Au diable les périphrases, la métaphore qui ne suggère qu’avec timidité, le goût pour l’euphémise subtil. Ce sens de la nuance ne peut rien face à l’enfance lacérée.

Je prends une longue gorgée de mon verre de vin en souriant avec candeur, car c’est un talent que j’ai: épargner l’autre, lui éviter l’humiliation, ne pas souligner sa bêtise, ne pas entraver sa joie, son plaisir. Lui donner l’impression qu’il est exactement à la bonne place, au bon moment. Épargner l’autre, toujours à mes dépens. […] Pour épargner l’un, l’autre s’afflige.

Ce qui sauve, sans pourtant le faire totalement? L’écriture. Si Duras clamait « écrire c’est hurler sans bruit« , la plume de Michelle Lapierre-Dallaire fracasse ce silence de toute sa voix de femme vivante, forte et libre comme un immense doigt d’honneur à ses bourreaux. Un texte qui s’éprouve et se vit bien plus qu’il ne se raconte. Et si les figures tutélaires de Virginie Despentes (lue) et de Nelly Arcan (à lire) sont naturellement ici convoquées quand il s’agit de trouver des échos ou parentés littéraires, rien de plus singulier que celle de Michelle Lapierre-Dallaire qui impose la sienne en l’ancrant viscéralement dans nos chairs.

Je n’aime pas le silence parce que j’ai peur de m’entendre vivre.

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok – Michelle Lapierre-Dallaire
Illustration de couverture Marie Guillard
Éditions Le Nouvel Attila
17€ / 158 pages / 2023

L’art du récit / Littérature québécoise
 
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16 réflexions au sujet de « Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok – Michelle Lapierre-Dallaire »

  1. Coucou ! Ta chronique est très belle, pour un sujet difficile. Je suis pourtant tentée, il sera peut-être bientôt à la bibliothèque ! Et je suis justement en train de découvrir, bien après tout le monde, l’œuvre de Despentes (je les lis dans l’ordre chronologique de parution).

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