Je me demande si on échappe un jour aux douleurs héritées en pendentif.
Voir Montauk, voir la mer. Comme une promesse faite à la mère. L’engagement tacite, sans contrat préalable dans une vie où règne le doute. Celui de savoir si la femme qui vous a donné la vie aura encore l’énergie d’être de ce monde et n’aura pas cédé à l’appel de ses démons intérieurs, parfois bien plus forts qu’elle les jours sans.
Après, il n’y a plus que la détresse, la tienne, et la mienne – celle de se perdre.
Commence alors la rédaction d’un journal. Celui de la vie qui inverse les rôles, qui invite l’enfant à devenir béquille, tuteur, épaule, soutien des douleurs invisibles qui hurlent. Voir Montauk ressemble à un journal de psychiatrie qui se veut le récit des jours de survie égrenés, des ordonnances qui achètent le répit le temps d’affronter la prochaine déferlante, avec une double épée de Damoclès sur la mère fragile et la fille réceptacle d’une douleur qui jongle avec ses émotions en vrac.
Avec la patience des enfants à l’heure du conte, j’écoute ta douleur et j’enterre la mienne.
Un titre fait de listes pêle-mêle, de strophes désemparées, de sursauts d’espoir, de confidences découragées et ponctué de citations d’auteurs et d’autrices qui donnent le ton de chaque semaine écoulée, comme une respiration là où la narratrice ne cesse de retenir son souffle, avec, comme lancinant questionnement, la possible mort de cette femme aux envies d’en finir bien trop enracinées pour les nier.
Peut-être
malade
de moi
fille qui pleure
comme tu te noies.
Je viens au monde et je bouleverse le tien, ce bébé, c’est la solitude des femmes oubliées.
Un livre qui m’a souvent fait penser au Journal de deuil de Barthes. Parce qu’il y de cela quand on y songe. Cet appel de la plume, ce besoin de dire, de consigner ce quotidien qui n’a rien d’anodin, entre gestes triviaux, banalités douloureuses et fulgurances poétiques. Et quelle difficile expérience que celle d’apprendre à faire le deuil d’une vivante, en prenant chaque jour de plein fouet le reflet d’une mère qui s’éteint dans le flou et le flot des émotions qui la chahutent. Et pourtant, malgré ce sujet accablant auquel la plume de Sophie Dora Swan nous confronte, il surgit de ces pages un amer portrait de mère qui sait pourtant s’enorgueillir de lumière.
Je sème des poèmes
Je dessine une trajectoire.
Affamée, je pille les mots de ces femmes refuges, je lis les mères qui dévastent, les filles qui désertent, les mères qui rejettent, je lis les mères vivantes (oui, il en existe), les filles aimantes (oui, il en existe), je ne sais plus où me situer.[…] Je m’accroche à ces reines filles, ces reines mères, je m’agrippe à leurs bras de fer, j’y pleure toute une nuit, toute une vie, j’aimerais leur parler car on dirait qu’elles m’écoutent – ce sont les seules, oui – j’aimerais leur dire que je les aime, j’aimerais leur dire Maman,
j’ai besoin de toi.
Une manière de rappeler comme il est douloureux, pour les adultes que nous sommes, éternels enfants costumés des responsabilités qui incombent à notre âge, de se résoudre un jour aux adieux.
On ne peut pas sauter
sans éclabousser
Voir Montauk – Sophie Dora Swan Éditions La Peuplade – Récit 18€ / 184 pages / 2023 Lire l’ailleurs / L’art du récit / Littérature québécoise |
un sujet très douloureux et un livre qui t’a touchée , non?
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Complètement. Saisie par la sincérité du propos.
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Et hop wishlist !
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