Cruelle postérité qui ne retient que la maîtresse, et enterre toute une œuvre à l’ombre d’un géant. Cruelle mais sans appel. Qui connaît l’œuvre de Dora Maar ? Qui se souvient qu’elle a été l’une des rares femmes photographes admises parmi les surréalistes ? Qui sait qu’elle a consacré soixante ans de sa vie à la peinture ?
Allez donc comprendre les hasards qui provoquent la création littéraire. La genèse de ce livre est de celle qui raviront les conteur·ses d’histoires. Un texte né de la rencontre fortuite entre une obsession pour les petits agendas en cuir et l’oubli d’un vendeur qui manquait peut-être d’attention et de curiosité. Quand Brigitte Benkemoun tombe sur ce carnet d’adresse, elle ne soupçonne pas immédiatement qu’elle a entre les mains la matière même de son futur ouvrage. Glissé entre deux petites pochettes, sommeille le carnet de Dora Maar, photographe et peintre à la personnalité incandescente, maîtresse passionnée – et brisée – d’un certain Picasso. S’en suivent des semaines et des mois de recherches rigoureuses et obsédantes, de lectures compulsives et passionnées. À l’instar du fil d’une pelote de laine sur lequel on tire lentement, Brigitte Benkemoun raconte, découvre, déploie, révèle.
Fascinée par ses amis avant de l’être par sa vie, je cours après un fantôme.
À partir de noms, d’adresses et d’indicateurs téléphoniques, elle tente de raconter celle qui a un jour possédé ce carnet. S’en suit toute une série de portraits qui tentent, à la manière d’un puzzle, de découvrir ce que furent les relations de Dora Maar avec les personnes dont les noms sont consignés dans ce petit agenda de l’année 1951. De ces pages, fruit d’un monstrueux travail d’enquête et de recherche, surgissent des noms encore dans la lumière de l’Histoire et du Paris mondain artistique. Lacan, Sarraute, Éluard, Brassaï, Cocteau, Giacommetti, mais également d’autres noms plus discrets, d’autres destins plus confidentiels, pour ne pas dire oubliés.
Elle n’est dupe de rien. Elle sait bien qu’on l’invite parce qu’elle est une légende vivante de l’art moderne et qu’on la présente toujours comme « la femme qui pleure ». Elle doit même savoir qu’on dit « la pauvre » et qu’on interdit aux autres invités de prononcer le nom de Picasso.
Brigitte Benkemoun exhume une part de ce siècle fascinant et pose un regard sur cette artiste qui a eu le malheur de côtoyer le terrible Picasso. Dora Maar entre ces pages semble particulièrement énigmatique et insaisissable et sa personnalité, qui divise et ne laisse pas indifférent·e, intrigue profondément. Ses revirements amoureux, ses grands écarts détonants en matière de convictions morales, politiques et religieuses laissent parfois perplexe face à tant de complexité et d’incompréhension. Son portrait – sans concession ni complaisance – n’est ici ni éloge ni pamphlet. Il questionne la femme à travers ce qu’elle fut, ceux et celles qu’elle a fréquenté·es, et évidemment à travers ses idées et son rapport à l’Art.
Aimer la poésie c’est vouloir approcher l’indicible de la vie intérieure. Aimer la poésie c’est être capable de se laisser emporter par des images, des émotions, c’est savoir écouter la musique des mots, parfois aimer sans comprendre, juste ressentir…
Allez donc comprendre les hasards qui provoquent les rencontres littéraires. J’avais vaguement entendu parler de Dora Maar lors de l’exposition qui lui avait été consacrée au Centre Pompidou en 2019. Son nom m’est apparu lors de ma lecture de Le Coeur de Marc Petitjean qui évoquait une de ses photographies-portrait de Frida Kahlo. J’aime définitivement ce genre de ponts entre mes lectures, comme autant de voies/voix à suivre… De la Frida malmenée par Diego à la Dora détruite par Picasso, il n’y avait plus qu’un pas à franchir en librairie…
Peut-on au moins savoir de quoi elle souffre ?
J’ai tourné avec un vif et réel intérêt les pages de ce livre-carnet. L’immersion artistique loin d’être idéalisée fut des plus enrichissantes et n’a cessé de nourrir la curiosité qui est la mienne quand se mêlent intelligemment l’Art et la Littérature. Figure du tiraillement et de la souffrance, Dora Maar n’est pas exempte de pages plus sombres qui renforcent toute l’ambiguïté de cette femme-artiste qui fut une grande figure du surréalisme. Un livre comme une merveilleuse invitation à découvrir son œuvre.
Pourquoi maintenir un lien quand on ne partage que des souvenirs ?
Échos et prolongements :
– Le Coeur, Frida Kahlo à Paris – Marc Petitjean
– Picasso – Birmant & Oubrerie (Retour sur une expo)
–Picasso, séparer l’homme de l’artiste : le podcast de Vénus s’épilait-elle la chatte? qui pose un autre regard sur le peintre tant lié à Dora Maar.
Je suis le carnet de Dora Maar – Brigitte Benkemoun Éditions Stock – Le Livre de poche 7,70 € / 228 pages / 2021 Art / Femmes artistes / Art et littérature / Destin de femme |
Un livre Dora Maar de Alicia Dujovne Ortiz paru en 2003 chez Grasset.plus récent: Dora Maar La femme 👩 nuisible Victorian Combalia Éditions invenit
Cordialement
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La Femme invisible (désolée, bourde de l’écriture automatique !)
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Tu donnes envie de découvrir cette artiste.
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je croyais avoir lu ce livre mais je ne le trouve pas sur Luocine.
En revanche, je trouve du même auteur « Albert Le magnifique » que j’ai beaucoup aimé .
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je vais le réserver du coup à la BM, merci pour le billet !
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Tu as aiguisé ma curiosité. Je note ce titre.
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Rolalala mais ce livre a l’air passionnant et cela donne envie d’en apprendre plus sur cette artiste que je ne connaissais que vaguement de nom.
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Je ne connaissais pas cette artiste. Intéressant
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Ca a l’air superbe ! j’ai dans ma pile à lire « Moi, Dora Maar » de Nicole Avril 🙂
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