Je suis né et j’ai grandi à une époque magique, dans une ville magique, entouré de magiciens. Oh, la plupart n’avaient pas vraiment conscience de vivre dans cette toile de magie reliée par des filaments argentés tissés de chance et de circonstances. Mais moi, je savais.
Sous cette couverture ce sont toutes les saisons qui défilent au cœur de Zephyr. Cory Jay Mackenson y a grandi et s’emploie à raconter avec un goût et un sens unique de la métaphore cette part de son enfance qui ne l’a jamais vraiment quitté. Alors qu’il se balade avec son père, il se retrouve témoin d’un accident impressionnant. Surgissant de la forêt, une voiture termine sa route dans le lac qui borde la ville et coule lentement, engloutie par les flots. Dans un élan de courage, Tom, le père de Cory se jette à l’eau et tente par tous les moyens de sauver la vie du conducteur. Quand il comprendra qu’il est trop tard, il regagnera la berge aussi désemparé que traumatisé.
Car on ne connait jamais vraiment la Mort. On ne peut pas l’apprivoiser. Si la Mort était un enfant, ce serait cette silhouette solitaire qui se tient à l’écart dans la cour où retentissent les rires des autres. Si c’était un enfant, elle resterait seule, ne parlerait que dans un murmure et poserait sur vous un regard hanté d’un savoir qu’aucun homme ne peut supporter.
Cet événement hors du commun dans une ville comme celle-ci agit comme un élément déclencheur. Dès lors, la paisible Zephyr semble prendre un autre visage. Oubliée, la sérénité. On découvre soudainement – derrière la beauté des paysages – toutes les petites mesquineries des habitants qui sous les sourires et un air faussement poli laissent entrevoir leur vrai visage. Cory découvre alors les petits trafics ordinaires, le racisme maquillé en indifférence et mépris, les arrangements coupables au goût de corruption, la violence des petites frappes et la puissance de ceux que la loi n’effraie pas.
En pédalant à travers l’odeur de l’été qui frappait mon visage et le tourbillon des moucherons aspirés dans mon sillage, je me dis que toutes les prisons n’étaient pas des blocs de béton gris, cernés de barbelés et de miradors. Certaines étaient des maisons ordinaires, dont les stores refusaient de laisser entrer le soleil. Certaines étaient une cage d’os fragiles et d’autres avaient pour barreaux de gros pois rouges. En vérité, il était impossible de reconnaître une prison tant qu’on n’avait pas eu un aperçu de ce qu’elle renfermait.
Face aux rouages de cette société-là, c’est aussi tout un monde qui s’écroule, celui d’une Amérique des années 60 en plein essor industriel qui broie tout, qui écrase sans scrupule ses petites gens qui n’ont d’autre choix que de se plier à des forces qui les dépassent. Au milieu de ce grand bouleversement, Cory observe et déploie toute son énergie pour tenter de comprendre un père en perdition et de cimenter les fissures qui mettent en péril l’équilibre de sa famille.
Ne laisse pas passer un seul jour sans en garder un souvenir, que tu conserveras comme un trésor. Car c’est ce que c’est. Les souvenirs sont de fabuleuses portes, Cory. Des professeurs, des amis, des maîtres. Quand tes yeux se posent sur quelque chose, ne te contente pas de regarder. Il faut voir. Vraiment voir. Voir suffisamment pour que, lorsque tu le raconteras aux autres, ils puissent voir à leur tour.
Ce splendide pavé estival a la densité des romans qui vous saisissent dès les premières pages pour ne plus vous donner l’occasion de le reposer. La force d’une telle somme romanesque repose d’ailleurs sur la magnifique épaisseur des personnages qui s’immiscent dans les ramifications des nombreuses intrigues secondaires. Zephyr Alabama est à la croisée des chemins entre un roman policier, un récit qui ne se refuse pas quelques touches d’insaisissable magie, une œuvre sur l’Amérique profonde qui rappelle parfois Steinbeck dans son approche sociale et historique. C’est aussi un merveilleux roman d’apprentissage (à la conclusion bouleversante) sur l’enfance d’un jeune garçon qui s’affirme face à l’autorité parentale et qui crève de colère de voir son amour et sa tendresse malmenés par la découverte déchirante des faiblesses des adultes.
La grâce, c’est de pouvoir supporter une perte qui vous touche, de l’accepter et d’en retirer même une sorte de joie.
Zephyr, Alabama – Robert McCammon Traduit par Stéphane Carne et Hélène Charrier Couvertue d’Alex Green Éditions Monsieur Toussaint Louverture – Collection Monsieur Toussaint Laventure 20,50 € / 617 pages / 2022 pour la présente édition. (1991) Lire l’ailleurs / Littérature américaine. / Pavé d’été |
Il faut que je me calme sur mes achats pour que ma pal ne frôle pas l’indigestion..
Cette histoire me tente depuis de sa sortie…
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Je l’ai vraiment adorée. Avec Steinbeck, le plus beau livre de mon été.
(Se calmer? Vraiment?)
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( oui oui, j’ai un peu craqué (beaucoup) et faut que je calme le jeu 😁)
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Je l’ai celui-là. Je risque de le lire bientôt… quand je vais le retrouver. Il est… quelque part. Comme le reste de mes trucs probablement!
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Comme tant de Monsieur Toussaint Louverture, un roman qui me fait terriblement envie… Je pressens le coup de coeur à te lire.
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Il fera partie de ma prochaine commande à la médiathèque c’est certain.
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J’ai lu d’autres romans de McCammon qui oeuvre aussi dans les littératures de l’Imaginaire, du fantastique soft. J’ai trouvé ses romans bien écrits.
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