Lorsque Gregor Samsa ouvre les yeux ce matin-là, il ne se doute pas un instant du bouleversement qui l’attend. Son corps engourdi et ses bras ankylosés annoncent un changement radical de tout son être. Dans le lit, ce n’est plus un homme qui ouvre les yeux mais un énorme cafard. L’enveloppe corporelle toute nouvelle de notre protagoniste ne le dépossède pas pour autant de son humanité. Dès lors, nous devenons les témoins de ses pensées et tergiversations. Ainsi, nous observons à travers son regard, le monde qui s’agite autour de lui dans un récit aussi cynique que farcesque.
Pendant la première quinzaine, les parents n’avaient pu prendre sur eux d’entrer dans la chambre, et il les entendit louer sans réserve le travail de sa sœur, alors qu’autrefois, ils s’irritaient fréquemment contre elle, parce qu’ils estimaient qu’elle n’était bonne à rien.
Le portrait que ce jeune représentant de commerce dresse du monde qui l’entoure se teinte d’une absurdité étonnante et donne à voir les failles et faiblesses d’une famille dans son intimité. Le fils à qui tout réussissait devenant autre, si différent et éloigné des normes se voit isolé, reclus. Il ne semble soudainement plus digne d’un amour qui se révèle d’une pauvreté abyssale. Cette métamorphose aussi soudaine qu’incongrue met alors en lumière, avec un humour particulièrement grinçant toute la vacuité des liens qui unissent les membres de cette famille si soucieuse des apparences.
Mais dans le même temps il n’omettait pas de se rappeler qu’une réflexion mûre et posée vaut toutes les décisions désespérées.
De son côté, Gregor Samsa n’a de cesse de questionner son monde qu’il perçoit comme un étranger, donnant à son récit la tonalité d’un moraliste de l’intime, s’offrant l’acuité désabusée d’un sociologue, s’appropriant le ton subtilement piquant d’un critique social. Au-delà de la chambre close, c’est aussi le rapport à la solitude qu’il questionne et autant dire que l’optimisme manque à l’appel. Ce basculement inattendu provoque alors une prise de conscience qui en dit long sur le désespoir et la désillusion auxquels il se heurte avec une violence inédite.
Je ne veux pas, devant cette horrible bête, prononcer le nom de mon frère et me contente de dire il faut nous débarrasser de ça.
C’est donc une échappée autro-hongroise que je vous propose cette semaine pour le lancement de notre saison 3 des classiques c’est fantastique ! Cela faisait des années que je voulais lire La Métamorphose. C’est donc chose faite. SI les premières pages furent quelque peu déconcertantes, j’ai rapidement pris le pli de ce récit qui m’a parfois rappelé ma lecture de Bartleby de Melville. J’ai particulièrement aimé ce tour de force assez habile de Kafka qui parvient à concentrer toute l’attention du lectorat sur le changement radical que subit son héros. Mais à bien y réfléchir, cette métamorphoseanimale n’est qu’un leurre. La profonde mutation n’est pas celle de Gregor en vulgaire cancrelat, bien au contraire. Le véritable changement particulièrement insidieux est celui de son entourage qui nourrit un rejet viscéral pour celui qui, une fois autre, n’a plus sa place parmi eux. Un sujet parfait pour une fable qui cède avec talent à la tentation de la satire familiale et sociale.
Était-il une bête, pour être à ce point ému par la musique ?
Échos et prolongements littéraires :
- Bartleby le scribe – Melville
- Bartleby le scribe – Munuera
Allons donc voir un peu du pays avec les chroniques de Natiora / Mumu pour ce RDV organisé avec Fanny.
La Métamorphose – Franz Kafka Éditions Gallimard – Collection Folio classique 2 € / 144 pages / 1915 Les classiques c’est fantastique [Saison 3] / Lire l’ailleurs / Littérature austro-hongroise |
Je l’ai lu il y a bien longtemps. C’était une lecture étrange et assez premier degré (j’étais jeune !). Il faudrait que je prenne le temps de le relire pour saisir ce qui m’a échappé la première fois et que tu mets en avant.
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Je crois que l’ado que j’étais était passée totalement à côté du texte. Cette relecture m’a permis de le considérer tellement différemment.
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Je l’ai lu il y a longtemps et je comptais le relire pour cette semaine, le temps en a décidé autrement… Ce n’est que partie remise!
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Maudit (emploi du) temps !
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Une de ces lectures que l’on n’oublie pas.
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Clairement. Quel texte !
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je dois relire ce roman qui m’avait tant plu il y a longtemps
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Je ne garde aucun souvenir de ma première lecture mais ce deuxième essai fut assez marquant.
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La première lecture, il y a très longtemps, m’a perturbée ! J’avais l’impression de ne pas avoir compris, comme toi d’après ce que je lis en commentaire. la seconde lecture fut plus fructueuse ( et admirative ).
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J’ai le même ressenti que toi face à ce titre. La relecture en valait tellement la peine !
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J’avais adoré, et cette découverte avait été déterminante d’ailleurs. Ça me donne envie de rouvrir un Kafka à l’occasion, tiens. En miroir, la BD Une métamorphose iranienne de Maya Neyestani est assez sidérante.
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Je ne connais pas cette BD mais je note évidemment ton conseil.
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J’ai découvert l’auteur avec « Le château » que j’ai bien aimé. « La métamorphose » sera ma prochaine lecture de cet auteur 🙂
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Tu es la deuxième à me parler de ce roman. Je le lirais volontiers.
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Je l’ai aimé, comme tout ce que j’ai lu de Kafka, auteur fascinant. J’avais prévu « Le Château » pour cette thématique, mais le temps m’a manqué.
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Je lirai bien le Château aussi à l’occasion.
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Kafka est un de ces auteurs qui m’attirent et m’inquiètent à la fois, par peur de passer à côté. La métamorphose est un livre que je veux lire depuis longtemps et, à te lire, je me dis que j’ai bien fait d’attendre, je la savourerai sans doute plus maintenant que si je l’avais il y a dix ou quinze ans. En tout cas, ta chronique est persuasive, ce roman semble vraiment intéressant dans les questions qu’il soulève.
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Je crois que je n’ai saisi aucune de ses subtilités plus jeune. Et je n’en avais d’ailleurs aucun souvenir. Je suis contente de revenir adulte vers ces titres-là.
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Bonsoir Moka, cette Métamorphose est extraordinaire. J’ai même vu il y a plus de 25 ans une adaptation au théâtre de ce texte. Le livre à lire de Kafka. Bonne soirée.
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